lundi 28 avril 2008

épisode six

Le caramel focalisa tout le sucre qui lui restait pour se concentrer. Il se concentra si fort que le chapeau en ressentit une légère décharge d’énergie sucrée. Malgré sa taille il avait un esprit, et puis…il fallait bien que tout ce sucre serve à quelque chose.

- Bon, ça y est ? Ta molle cervelle a pu enregistrer ?
- Ca va, ça va, on est pas vraiment pressé par le temps que je sache. Il va pas s’enfuir ton matelas!
- Ca, t’en sais rien, les objets les plus inanimés peuvent nous surprendre…

Le caramel dévala alors le chapeau, se secoua rapidement pour se désabler. Le rituel pouvait commencer…

- Tu te souviens de ce qu’il faut faire ?
- J’suis pas débile non plus. Ca va, j’arrive quand même à retenir qu’il faut tourner comme un con pendant des heures en pensant à un matelas pourri ! ! ! Enfin… Tout n’est pas perdu…

Tout n’était peut-être pas perdu en effet, du moins pour quelques instants encore.

- C’est qu’un essai de toute façon, tout devrait bien se passer. Tant pis si on rate.

Sur la valse imperceptible du vent, les deux abandonnés se mirent alors à tournoyer, un peu aventuriers, un peu désespérément. Mais il fallait bien tenter. Juste pour voir. Désenchantés, ils ne pouvaient croire qu’en une seule chose : ce déplacement. Ils y croyaient donc, ils se concentraient du mieux qu’ils pouvaient. La valse devint endiablée, ils étaient alors possédés par cette vision qui annonçait un lieu de salut, même dérisoire.


Sur une plage, en fin de journée, un caramel et un chapeau entreprenaient une incertaine odyssée, sans qu’aucune Pénélope ne les attende nulle part. Alors, tant bien que mal, semblables à deux pantins dirigés par la bise, ils s’envolèrent, tournoyant encore et encore vers un vieux matelas. Les deux pantins, dans leur danse invisible, valsèrent jusqu’au matelas. Ou plutôt le chapeau arriva au pied du matelas tandis que le caramel se fracassa brutalement sur un galet qui, lui aussi, errait par là. Le caramel retomba inerte à côté du galet, enivré par la valse, assommé par la chute. L’expérience, surtout la première fois, pouvait être éprouvante, voire fatale, pour certains objets. Mais le chapeau avait omis ce détail…
- Ca je m’en doutais! tu t’es laissé enivré par le vent, c’est fréquent au début. C’est un fourbe ce vent. Tu crois que tu contrôles et tu contrôles plus. Y a que lui qui sait. Et encore. Bon. Tu t’remets maintenant ?
Silence absolu du côté sucré.
- Tu vas pas faire ton cinéma non plus! C’est bon. Allez! C’est pas un galet qui va te tuer quand même ?

Voyant qu’il n’obtenait aucune réaction, le chapeau, bougonnant, fit un bond jusqu’au mou mal en point.


- Ca commence! On n’a même pas bougé jusqu’au rocher que déjà il fait sa tragédienne! Allez… Quel aventurier tu fais? A peine envolé tu te fracasses avant la fin du voyage… tu veux un éloge funèbre ou quoi ? Si t’as résisté au bounty, à la sucette, c’est pas pour rien, c’est pas pour finir comme ça !


Au son de ces paroles, ou à l’aide d’une quelconque grâce, le caramel retrouva ses restes d’esprit et frémit alors de frayeur. Il ne savait plus où il était, il avait un peu la nausée. Ces derniers moments avaient été difficiles pour lui. Pas seulement le court voyage. L’agitation des gens, la plage qui se vide, l’espoir qu’ils reviennent… Tout cela l’avait profondément ébranlé, sa légendaire mollesse n’arrangeait rien à l’affaire. Le chapeau s’agitait, sautait autour de lui, ce qui ne fit qu’aggraver son état.
Il vit le matelas et se souvint alors de tout. Le calme, le voyage, la transe.

- J’suis pas très bien là… il fait froid…

- Ca fait toujours ça le premier voyage. On va se reposer, on continuera plus tard, je crois qu’on pourra se réchauffer avec le matelas, il n’a pas l’air bien méchant …

mardi 8 avril 2008

épisode cinq

Etrangement, pour la première fois de cette histoire, une ambiance relativement amicale régnait entre nos deux oubliés. Plus calme que jamais, la plage revêtait ses couleurs crépusculaires. Le bleu et le jaune se mêlaient désormais à l’orange sanguine: le cycle du temps continuait son immuable danse autour d’un vieux chapeau et d’un jeune caramel, dont les couleurs se confondaient maintenant avec le sable. La lune, triste mais toujours fidèle, apparaissait déjà en filigrane, pleurant certainement sur un spectacle vide d’humanité, à moins qu’elle ne rie encore une fois de la bêtise humaine. La date était oubliée. Tout était oublié.
Personne ne vint donc troubler l’étrange spectacle qui s’annonçait, l’aventure incertaine qu’allaient tenter un philosophe et un mou. Le chapeau se mit face au caramel pour lui enseigner l’art du déplacement d’objet avec le vent… Le sage se mit donc à s’agiter, à sautiller étrangement en tournant en rond, entrant dans une transe quasi-chamanique. La bise soufflait… prête à porter les oubliés.
- Alors tu vois tu tournes un peu comme ça, tu te laisses enivrer par ce mouvement, tu tournes, tu tournes, tu tournes…
- Et t’es sûr qu’on survit ? ?
- Arrête, tu me déconcentres ! Donc, tu tournes, tu tournes, et une fois que t’es bien enivré par le mouvement, tu re-concentre ton esprit, tu visualises précisément l’endroit où tu veux aller et tu ne penses qu’à ça…
- Et si je pense à autre chose, genre ma douce sucette par exemple, il se passe quoi ?
- Rien ! Il se passe rien ! Ou alors il se passe que tu restes toujours aussi con et en plus tout seul, vu que je serai parti sans t’attendre si jamais tu fais ça. Il serait temps, mon grand, que tu agites un peu tout ce sucre si tu ne veux pas finir complètement ensablé… On fait un essai si tu veux. Essaie de te déplacer vers ce matelas pourri, il est à dix mètres, même pas…
- T’as rien d’autre comme premier endroit ? Il a vraiment l’air merdique ce matelas…
- Ecoute, vu tes capacités mentales, il faut que tu vises un endroit précis. Et à part du sable, je ne vois rien de bien précis dans un périmètre de dix mètres. Tu es si faible d’esprit que tu ne sais pas distinguer le sable qui est à côté de nous de celui qu’il y a là-bas. Alors comme premier essai on prend le matelas pourri, et sois content d’avoir droit à un essai. En plus la pourriture de ce matelas s’accorde bien avec toi…
- Bon, t’emballe pas non plus… Et tu crois qu’il est vivant ce matelas ?
- Il a pas l’air bien vif en tout cas… Mais les objets les plus pourris sont souvent, comme les hommes, les plus vivants… Bon, c’est pas la question pour le moment, on verra bien une fois arrivés sur place. Regarde bien ce matelas…
-J’y vois pas bien j’suis trop petit… J’peux pas te monter dessus pour mieux voir ?
- Bouge toi! Moi j’pars dans cinq minutes…
Blasé, le chapeau laissa grimper, d’un bond encore une fois surprenant pour sa race, le jeune et peureux caramel. Un caramel se tortillait donc sur un sage, pour mieux visualiser leur lieu d’atterrissage. Cela ne gênait toujours personne, si ce n’est le ciel, dont les couleurs se battaient entre chien et loup. Le caramel, du mieux qu’il pût, s’imprégnait visuellement de ce matelas qui, apparemment, n’attendait rien.