jeudi 20 novembre 2008

épisode quarante-cinq

Des hurlements de rage s’enchainèrent, des pleurs semblaient s’y mêler. Ce chant dura un long moment puis ils n’entendirent que de lointains sanglots, avant le silence total.

Les aventuriers restèrent un instant choqués: ils n’avaient pas entendu de voix humaines depuis quelques temps déjà et celle-ci était particulièrement déchirante.

- Mon dieu ! Dans quel état ils l’ont mise… j’espère qu’on pourra faire quelque chose pour elle, j’ai comme un doute. On ne l’a pas encore vue, mais sa voix ne laisse pas présager une grande forme.

- On y arrivera, c’est obligé… Ecoute !


Elle pleurait encore, ces pleurs s’apparentaient désormais plus à du désespoir qu’à de la rage.

Le chapeau et le caramel ne bougeaient plus. Le caramel comprenait un peu plus l’ampleur de l’horreur qu’avait subi cette fille, sans comprendre les mots, la voix suffisait. Il était fatigué et n’avait plus du tout le cœur à se moquer du chapeau. Ce dernier retourna néanmoins à son inspection de bibliothécaire, histoire de se changer les idées, son cœur (aussi improbable que cela puisse paraitre pour un objet) était lourd.

- Ah ! Le journal d’Etty Hillesum, bien moins connu que celui d’Anne Frank… C’est une lecture idéale lorsqu’on n’a plus d’espoir. Cette femme est un exemple de courage. Tous les humains devraient le lire : elle a choisi d’être déportée, alors que certains de ses amis lui avaient proposé de la sauver de là… Elle a choisi d’aller vers l’horreur, pour ne pas être privilégiée par rapport à d’autres juifs: un phénomène ! Qui aurait aujourd’hui le courage de faire ça ? Je te le demande !

- Ben dis donc… Elle a pas des lectures super joyeuses ton Insoumise.

- Qu’est-ce que tu croyais ? Qu’elle aurait des recueils de blagues pour s’éclater dans son phare ??? Elle est bien plus spirituelle que ça !

- Oh, ça va, j’ai rien dit… J’ai l’impression que, de toute façon, ton Insoumise n’a aucun défaut à tes yeux, sauf celui d’être prisonnière !

- Elle est parfaite, en effet… Elle l’était en tout cas. J’espère qu’il lui reste une petite flamme… juste une toute petite.

- Elle serait déjà morte si ce n’était pas le cas…

- Ne parle pas de malheur !

- Dis moi, chapeau, toi qui sembles en connaitre un rayon sur la vie des objets, les livres ont-ils une âme, comme nous ?

- Ah! Voilà une bonne question! Les livres ont-ils une âme… Bien sûr!

- Pourquoi ne réagissent ils pas à notre visite ??? Ce sont des objets après tout…

- Oui, mais pour les livres c’est différent de nous. Comment dire… Ils ont une âme, vois-tu, mais cette âme est celle de l’homme ou de la femme qui a écrit le livre. C’est compliqué… L’âme de l’auteur reste éternellement gravée sur leurs pages, ils n’ont pas besoin d’autre chose. Ils sont à la limite entre les objets et les humains… Ils ne vont pas communiquer comme nous le faisons, ils n’en ont pas besoin. L’âme de l’auteur leur suffit…

vendredi 14 novembre 2008

épisode quarante-quatre

La curiosité intellectuelle du chapeau le poussa à s’approcher de ces tristes vestiges de la vie littéraire.

- Voyons voir, quel genre de livres a saccagé mon Insoumise ??? Tiens, tiens, De brevitate vitae, enfin, De la brièveté de la vie, de Sénèque, je le connais ! C’est étrange qu’elle ait déchiré ce bouquin. Tu connais ?
- Bien sûr ! Je te signale que je suis un caramel, au cas où t’aurais pas remarqué. Je ne connais donc aucun bouquin, pas la peine de jouer les intellos !
- Il n’est jamais trop tard pour s’y mettre. Sénèque était un philosophe…
- J’ai le cerveau en sucre mais vu le titre je m’en serais douté !
- Il était stoïcien et se moquait des futilités de la vie qui bouffent le temps des humains… Il se moque des humains qui se croient immortels et qui perdent leur bien le plus précieux –le temps- à tort et à travers, c’est terrible…
- Non, mais j’y crois pas… Tu m’fais un cours de philo ?
- Oh, ça va ! Je t’éclaire comme je peux. Voyons voir… Tiens, celui-là je l’adore… Les noces, d’Albert Camus. Il est tout déchiqueté lui aussi… Mon dieu, pourquoi a-t-elle déchiré ces livres ???
- On a qu’à regarder ceux qu’elle n’a pas déchirés, ce serait aussi intéressant, non ?
- Tu as raison. Allons voir là-bas…

Ils effectuèrent un bond en simultané et se retrouvèrent devant une impressionnante colonne de vieux livres qui n’étaient pas déchiquetés. Cette colonne mesurait plus d’un mètre, ils ne purent voir que les livres d’en bas.

- Ah ! J’étais sûr qu’elle l’avait, celui-là… Le dernier jour d’un condamné, de Victor Hugo. Sur la peine de mort, il est génial. Pas étonnant qu’elle ne l’ait pas déchiré.

Le caramel retourna sur le tapis poussiéreux pour se reposer. Le chapeau continuait de regarder les livres en marmonnant leurs titres ou différents commentaires, puisqu’il les connaissait tous… Le caramel commençait à somnoler.
Une mélopée lointaine se fit entendre, le caramel sursauta…

- Punaise, t’as entendu ???
- Mmmhhh ??? Qu’est-ce que tu dis ?
- T’as pas entendu? Là, on dirait un chant… Ca recommence ! Ecoute !

Le chapeau entendit à son tour. La voix, féminine, semblait lointaine et répétait des sons indistincts sur un rythme lent.

- On dirait une prière… Mon dieu, ça doit être elle !
- Ben ça, c’est sûr, y a personne aux alentours. Je vois mal les virtua-cops entonner des prières…
- Ccchhhhhhhhhttttt… Tais-toi ! Ca continue…

Le chapeau était en transe, le caramel ne pouvait que se taire. La voix et le rythme s’intensifiaient, le chant devenait inquiétant, il se transformait en cri.

lundi 10 novembre 2008

épisode quarante-trois

- Je crois qu’elle vient de partir !!! Il n’y a personne… J’ai entendu la porte !!!

Le caramel s’approcha doucement et observa à son tour l’antre de l’Insoumise. Malgré l’obscurité et la panique qui régnaient, il constata lui aussi l’absence de l’ancienne humaine. Le chapeau ne cacha pas sa déception.

- On aurait mieux fait de ne pas écouter ce chat. Elle vient de descendre, on a fait ce bond pour rien…

- Punaise, j’te l’avais dit que ce chat n’était pas fiable !

- Bah, peut-être qu’elle est descendue plus tôt que d’habitude… C’est quand même bien qu’on ait réussi à monter jusqu’ici !

- Qu’est-ce qu’on fait ? Je ne me sens pas la force de redescendre…

- Ce n’est pas plus mal qu’elle ne soit pas encore là : on va pouvoir visiter un peu. Elle finira bien par remonter… peut-être qu’on l’aurait effrayée en entrant comme ça, par surprise. Allez, sautons à l’intérieur, je veux découvrir dans quoi elle vit !

- Pfff… Ok, on saute. Mais, pour ma part, je vais me trouver un coin tranquille à l’intérieur et me reposer.

- Bien sûr, je vais inspecter les lieux avant qu’elle revienne…

Le chapeau bondit à l’intérieur et se retrouva sur une sorte de tapis poussiéreux. Le caramel restait en retrait.

- Allez, tu peux venir ! Il y a un sacré bordel ici !!!

Le caramel, curieux, bondit à la suite du chapeau et se retrouva au milieu du sacré bordel…

- Eh bien… Elle n’est pas trop rangée, comme humaine, ton Insoumise !

- Tu parles ! Elle a autre chose à penser ! Mon dieu, ces salauds la laissent vivre dans cette saleté… La pauvre…

Le chapeau observait la pièce en détail et fut surpris de voir qu’elle n’était meublée pratiquement que de livres…

- Mon dieu… Des livres !!! Je pensais qu’il n’en restait presque plus. C’est la première fois que j’en vois autant ! Ils sont dans un sale état !

Le caramel restait aussi interloqué que le chapeau.

Ils observèrent en silence un tas de livres qui étaient tous déchiquetés; des pages arrachées, roulées en boules jonchaient le sol.

lundi 3 novembre 2008

épisode quarante-deux

- J’suis pas bien, j’ai la nausée, je… Ouh là, c’est haut ! Si on tombe !!!
- Tout doux, du calme… On ne va pas tomber si on ne gigote pas trop. Remets toi de tes émotions. On y est arrivé sans mal !!! Félicitations !
- Ouhais… Mais là, ça va vraiment pas…
- Tu ne peux pas avoir la nausée, tu n’es pas humain !
- Ben, j’sais pas, mais j’me sens…
- Allez, du nerf ! Ce n’est pas le moment de s’arrêter, on se rapproche d’elle !!!


Le caramel vacilla un peu jusqu’au bord, le chapeau glissa jusqu’à lui pour l’empêcher de chuter.

- Du calme ! Ressaisis toi, bon sang ! On se repose un peu si tu veux.
- Ma foi, j’veux bien qu’on attende, je vais reprendre des forces…

Le caramel avait tellement forcé pour ce bond qu’il avait perdu sa répartie cinglante. Le chapeau le considéra avec une légère inquiétude. Ce bond lui faisait prendre conscience de toute la force du caramel. Sans lui il ne serait monté aussi haut.

- Merci, caramel… Sans toi je serais resté en bas.
- Sans toi je n’aurais jamais su que les objets étaient capables d’en faire autant. Je te devais bien ça. Bon, on va pas dormir ici non plus. Je me reposerai à l’intérieur !
- Allons-y ! Je suis en transe d’être aussi près d’elle !

Ils se rapprochèrent alors du bord de la fenêtre, intimidés par l’importance de la situation. Le chapeau s’avança le premier. Il regarda pour la première fois l’intérieur du phare, ce sanctuaire obsolète où vivait l’une des dernières représentantes de la vraie race humaine. Il s’habitua à l’obscurité, mais ne décela aucune présence. Il entendit juste le claquement de la porte au bout de la pièce puis des pas qui, vraisemblablement, descendaient les escaliers. Il se tourna aussitôt vers le caramel, qui se cachait derrière lui.