mardi 30 décembre 2008

Episode quarante-neuf

Ils restèrent longuement sans bouger, juste à observer le fameux espoir qui se tenait sur son lit de fortune. Le caramel était choqué par son apparence famélique; il n’avait jamais vu un humain aussi maigre, aussi pâle. Il n’osait pas le dire mais elle lui faisait peur: il avait l’impression qu’elle était déjà morte. Le chapeau se rendait compte lui aussi de l’ampleur du désastre. Le chat et le tapis ne leur avaient pas mentis: l’Insoumise avait l’air complètement éteinte, ou folle.

Mais ils n’avaient pas fait tout ce chemin pour rien, il était trop tard pour ne rien tenter.
Alors, après une phase d’observation -qui s’apparentait plus à de la contemplation de la part du chapeau, ce dernier décida de s’avancer dans le champ de vision de l’Insoumise, au risque de la choquer.

Il bondit donc au milieu de la pièce, à la grande surprise du caramel, qui sursauta. L’Insoumise, elle, ne broncha pas et sembla ne rien remarquer, ce qui fendit le cœur du chapeau. Elle poussa juste un long soupir avant de s'allonger lentement. Le chapeau ne se laissa pas déstabiliser par cette indifférence et s’avança jusqu’à cette dernière humaine, qui commençait à fermer les yeux.
Il l’effleura de sa paille. Elle referma aussitôt sa main sur son bord, avec les maigres forces qui lui restaient. Sa voix n’était qu’un murmure rauque, avec des restes d’une jolie voix tout de même.

- Un chapeau… Ca y est, je commence à me taper des hallucinations!!! Ca ne s'arrange pas! Salut chapeau! Je te touche, pourtant, tu parais bien réel…

Le chapeau resta sans voix. Elle le tenait dans ses mains. Enfin! Quel bonheur, quelles jolies mains!
Le caramel, un peu moins effrayé, décida lui aussi de bouger jusqu’à elle.
L’Insoumise, ou Lacrima, ou Hystéria, comprit alors qu’elle n’hallucinait pas. Elle savait que les objets pouvaient bouger et que ces deux-là n’étaient pas le fruit de son imagination détraquée.

mardi 23 décembre 2008

Episode quarante-huit

- Enfin, elle dort, faut l’dire vite! Elle cauchemarde apparemment. Déjà elle met des heures à s’endormir et même pendant son sommeil, elle bouge, marmonne, crie même parfois sans se réveiller. J’ai mis du temps à retrouver mon sommeil moi!

- Elle dort sur toi tous les soirs et tu ne penses qu’à dormir!

- Ben, j’vois pas où est le problème… Qu’est-ce que tu lui veux, à cette fille?

- Mmmmmh… C’est bien long et compliqué à t’expliquer. On veut… On veut l’aider, c’est tout!

- … L’aider. Si c’est pour l’aider à dormir, moi j’veux bien!

- Bon, laisse tomber. On veut l’aider à aller mieux. Alors, si tu peux nous informer un tant soit peu, ce serait bien!

- Ouh-là, tu tiens des discours bien compliqués, ça m’étonne pas que tu sois un chapeau. J’peux juste vous dire que c’est la personne la plus désespérée que j’ai jamais vue. Et logiquement elle ne devrait pas tarder à remonter, j’entends déjà des pas…


Ils interrompirent aussi sec la conversation. Des pas se faisaient effectivement entendre. Le chapeau se rapprocha de la pile de livres, le caramel collé derrière lui. Les pas rythmaient d’interminables secondes, ralentissant au fur et à mesure qu’ils se rapprochaient. Des pas qui portaient tout le poids de l'humanité, trop lourd pour une seule personne.

Le chapeau tremblait de toute sa paille lorsqu’il entendit la poignée de la porte.


Une fille grande, maigre, amorphe, entra dans la pièce et posa un triste regard sur sa triste couche. De fins cheveux blancs lui arrivaient aux fesses, recouvrant la moitié d’une chemise crasseuse, qui avait du être blanche. Elle referma la porte, et ce squelette ambulant alla s’asseoir sur le tapis poussiéreux. Le chapeau et le caramel avaient devant les yeux l’illustration parfaite du désespoir humain.

Elle était tellement habituée à cette pièce sordide qu’elle n’avait même pas remarqué la présence des deux intrus. Le chapeau en fut vexé mais se délesta aussitôt de son amour propre face à autant de détresse.

mardi 16 décembre 2008

Episode quarante-sept

- Moi aussi j’aurais aimé être un livre…
- Oui, bon, ça ne sert à rien de vouloir être quelque chose qu’on ne sera jamais, ça n’a jamais fait avancer personne! Alors tu prends ta putain d’âme, tu fais comme tu peux pour t’en servir, tu n’as pas le choix!

Cette dernière réplique instaura un respectueux silence. Cependant les deux aventuriers avaient réveillé un objet bien poussiéreux, qui jusque là s’était tu en les écoutant disserter.

Le caramel était posé tranquillement dessus et sursauta lorsque le tapis se mit à frémir et à parler – d’une voix particulièrement poussiéreuse d’ailleurs –

- Vous jacassez beaucoup! Si je n’avais pas vu d’objet nouveau depuis une éternité, je ne me serais pas réveillé… Mais qu’est-ce que vous foutez ici? Comment êtes-vous arrivés???

Le caramel se précipita d’un bond pour aller se réfugier aux côtés du chapeau et fut encore impressionné par son sang froid, sa sagesse.

- Excuse nous. Nous venons… le caramel, que tu aperçois derrière moi, m’a fait bondir jusqu’ici.
- C’est ça! Vous n'allez pas me faire gober que ce petit caramel a bondi jusqu’ici! Un tapis, je veux bien, mais un caramel et un chapeau!
- C’est moi qui ai bondi! Je peux te faire une démonstration si tu veux… Même qu’on est venus du sable en bondissant!
- Soit! Vous avez bondi jusqu’ici. Le problème, c’est que je vois pas ce que vous venez faire…
- Ben, justement, c’est l’Insoumise, tu…
- Tais toi, caramel, laisse moi parler, tu es fatigué!
- Peut-être mais je bondis comme personne! Mais vas-y, raconte la ton histoire, tu fais ça mieux que moi.
- C’est quoi, cette histoire de chemise?
- Insoumise, tapis… IN-SOU-MISE!
- Késako??? Y a pas d’insoumise ici!
- La fille, celle qui habite ici…
- Lacrima???
- Lacrima??? Mais qu’est-ce que tu racontes???
- Enfin, moi je l’appelle Lacrima:elle n’arrête pas de pleurer! Parfois je l’appelle Hystéria aussi… Mais vous, vous l’appelez l’Insoumise, c’est ça?
- Euh oui, enfin, je pense… Tu n’as jamais entendu parler des Insoumis?
- Il va bien, lui! Les Insoumis! Je suis à l’abandon depuis des années, j’me suis retrouvé là, un matin, avec cette fille qui dort sur moi tous les soirs… Sinon, j’dormais depuis un long moment…
- Tu… Tu veux dire que tu n’as pas entendu parler de Virtua-world???
- Ah, ça, ça me dit quelque chose… Je crois que c’est au début de Virtua-world que je m’étais endormi. J’me suis réveillé une première fois quand ils m’ont amené ici et j’me suis rendormi au bout d’un moment. Entre une fille à moitié folle et des bouquins pour me tenir compagnie, je crois que je n’avais pas mieux à faire.
- Mon dieu… elle dort sur toi tous les soirs!

mardi 2 décembre 2008

épisode quarante-six

- Tu veux dire qu’ils ne peuvent pas se déplacer comme nous ??? Enfin, ils pourraient mais ils n’en ont pas besoin ? Les pages noircies suffisent à les faire vivre, je ne comprends pas trop. Un livre de pages blanches serait comme nous, alors qu’un livre écrit par un humain n’aurait pas la même nature ???
- Voilà, c’est ça ! Exactement… Si l’homme laisse une quelconque empreinte artistique sur un objet, que ce dernier soit dessiné, écrit, sculpté en réponse à l’essence ou à la souffrance de l’homme, ça lui suffit: il n’a pas besoin d’exister, de bouger autrement. Sa nature artistique suffit… Mais c’est encore plus complexe car tout objet, même le plus utile, peut être fabriqué par une volonté artistique. Si une chaise est fabriquée comme l’écho d’une souffrance humaine, elle en devient une œuvre d’art… De même que le livre ou le tableau qui est fait selon une démarche non artistique –ce qui est souvent arrivé ces derniers temps – eh bien celui-ci a la même nature que nous, il peut bouger, communiquer, il a une âme indépendante…
- Tu veux dire que celui ou celle qui m’a crée n’avait pas une démarche artistique ???
- Et non, mon gars ! Comme moi d’ailleurs… Comme la plupart des objets utiles. Nous sommes crées pour être consommés puis, un jour ou l’autre, jetés. D’autres chapeaux et d’autres caramels ont pu être de véritables œuvres d’art. Mais je te parle d’un temps que tu ne peux connaître… Tu ne peux pas savoir la jalousie que j’ai éprouvée envers ces livres lorsque je les lisais par-dessus l’épaule de mon propriétaire ! J’aurais donné n’importe quoi, j’aurais fait l’impossible pour être une œuvre d’art. Malheureusement je n’ai jamais pu!

Le chapeau poussa alors un profond soupir, différent mais aussi désespéré que peut l’être celui d’un humain. Le caramel ingurgitait encore une révélation brutale: il n’était pas une œuvre d’art.