jeudi 30 avril 2009

Episode soixante-dix

- Ne sois pas trop violent…

- Non mais qu’est-ce que vous avez à me dire ? Sois violent, j’en ai déjà vu pas mal pour mon âge, de toute façon je n’ai jamais aimé les chats !

- Oh, tu sais je ne te déteste pas… tu n’es pas un caramel.


Le caramel qui n’en était plus un resta interdit, cette phrase résonnait étrangement au fond de lui.


- Qu’est-ce que tu racontes ?

- Tu crois que tu es un caramel.

- Bien sûr ! Je crois que je suis un caramel, c’est ça… Et je crois surtout que t’es un con de chat qui ne sait pas quoi raconter pour que je me fasse bouffer sans peur ! Et toi là, le philosophe, tu penses aussi que je ne suis pas un caramel ?

- Je… euh… il a raison. Malheureusement.

- Certains de tes souvenirs sont, comment dire… tu crois que tu es un caramel mais tu…seuls les objets fabriqués par les anciens hommes ou les anciennes machines ont une âme. Aucune nourriture n’est dotée d’une âme, tu comprends ?


Le caramel commençait à prendre l’affaire au sérieux, il sentait le regard de l’Insoumise peser sur lui.

- Mais, comment ça se fait ? Je me sens caramel moi, du fond de mon âme ! Que suis-je si je ne suis pas un caramel ?

- Euh… tu vois bien que tu n’es pas qu’un caramel. Tu es un caramel et un ? Un ?

- UN SACHET EN PLASTIQUE ?

- Ben oui. C’est pas si grave tu sais.

- Mais c’est du délire ! Je sens que je suis un caramel, c’est évident !

- Tu es un sachet. Sauf que ça a du trop coller, je sais pas, mais l’ancien sachet croit qu’il est un caramel…

- N’importe quoi !

- Tu ne te souviens pas. Ta nature de sachet en plastique s’est oubliée en se collant au sucre du caramel. Tu n’es pas un caramel. Ton âme d’objet n’a pas pu naître du caramel, c’est impossible…

- Ce qui est impossible, c’est que cette Insoumise me mange. Je ne me laisserai pas faire ! Et toi, le philosophe, l’intellectuel, tu cautionnes cette connerie !?

- Je ne cautionne rien du tout. Les choses sont ainsi…

- Pourquoi ne me l’as-tu pas dit avant, puisque les choses sont ainsi !

- Je ne sais pas. Ca ne m’est même pas venu à l’esprit… Je sais, pourtant, que la nourriture ne peut pas avoir d’âme. Tous ces événements ont du me faire perdre une part de bon sens, l’idée ne m’a même pas effleuré l’esprit. La question ne s’est pas posée. J’ai souvent rencontré de la nourriture emballée, souvent sucrée. A chaque fois je leur ai parlé, je les ai considérés comme des objets ayant une âme. Je me souviens d’une bande de chewing gum particulièrement insupportables… Je comprends maintenant que ce n’est pas avec eux que je dialoguais, mais avec leur emballage. Je suis stupide, j’aurais du m’en douter.

lundi 27 avril 2009

Episode soixante-neuf

Ils se retrouvèrent alors en cercle, tous les quatre, prêts à transformer ce monde.

- Tu sais, c’est assez compliqué comme situation. Je compte sur ta sagesse et ta compréhension, ça ne va pas être facile. Mais je suis sûr, tout de même… Nous nous connaissons depuis longtemps maintenant; nous avons débuté cette aventure ensemble sans le vouloir vraiment, et je dois dire que…
- Ouh là, c’est quoi ce ton solennel que tu nous prends ?
- Ecoute, moi, je ne suis pas comme le chapeau: je ne vais pas tourner pendant mille ans. Elle veut te manger; elle pense que ça lui redonnerait les forces nécessaires, ses pouvoirs télépathiques pourraient peut-être revenir.
- Quoi ! Mais c’est quoi ces conneries ? Voilà tout ce que vous avez trouvé pour vous débarrasser de moi ?! Il fallait le dire plus tôt… Mois j’me casse si vous voulez! Franchement, je m’attendais à tout, mais quand même...
- Ce ne sont pas des "conneries" comme tu dis : le chat te dit la vérité. Puisque l’amour n’existe plus pour moi, il ne me reste que le sucre…
- Non, mais j’hallucine ! Tu crois sincèrement que mon sucre suffira à te redonner des forces ? J’veux bien être jeune, mais faut pas me prendre pour un con !
- Personne ne te prend pour un con, au contraire! Si on t’en parle c’est parce qu’on a confiance en toi… Tu… Toi seul peux lui redonner cette énergie.
- Ah, évidemment: elle n’a pas envie de bouffer un chat, ça non, mais un caramel ! C’est dégueulasse !
- Il est temps qu’on t’avoue quelque chose caramel. Tu es en mesure de le comprendre je pense, et si j’attends que le chapeau te le dise on y est encore dans une semaine…

jeudi 23 avril 2009

Episode soixante-huit

- Mais… mais… ton organisme est purifié de toute ancienne nourriture humaine! Si tu ne le supportais pas ? Si, au lieu de te sauver, cette expérience causait ta mort ?

- Je suis déjà morte, gentil chapeau, et mourir une seconde fois ne m’inquiète pas. La mort m’attend si je ne fais rien, alors...

- Alors ce serait stupide de mourir à cause d’un caramel; il existe sûrement un autre moyen!

- Tu ne veux pas sacrifier ton ami, hein ? Tu sais bien qu’il n’y a pas d’autre solution, nous ne savons même pas si cela va marcher.

- Nous n’allons pas le sacrifier, puisque c’est un sachet et non un caramel!

- L'affaire est plus compliquée, tu le sais bien… Il est persuadé d’être caramel; le sachet risque de ne pas vouloir se séparer de ce qu’il contient, ça risque de le rendre fou.


Le chapeau ne trouvait rien à redire. Il l’attendait cette solution, il en avait rêvé, et maintenant qu’elle s’annonçait il la détestait. Il connaissait suffisamment le caramel pour savoir qu'il lui serait difficile d’accepter la nouvelle…


- Evidemment qu'il y a un risque! Il est jeune, il ne connaît pas grand’chose!

- Je sais bien, chapeau, malheureusement nous n’avons pas le choix, c’est notre seule chance, et encore…

- Et… Si elle le mange, l'âme du caramel va-t-elle rester dans le sachet ?

- Oui, mais elle risque d’être sacrément chamboulée.

- Nous devons le lui dire! De suite. Il est prêt à tout lui aussi, il acceptera…

- Il acceptera quoi ? C’est quoi ces messes basses ? Que dois-je accepter ?

- Accepte de descendre, déjà, on sera plus à l’aise!

- Si vous complotez dans mon dos, j’vous préviens, ça…

- Ce sont tes bonds qui te rendent parano ? Descends j’te dis, il faut qu’on se décide rapidement…


Le caramel descendit à contre cœur; son instinct lui disait que ça ne sentait pas bon pour lui. Comme quoi, les caramels ont parfois plus de jugeotte que ce qu’on croit…

Le chapeau était gêné par la situation, il ne savait comment tourner la chose pour la lui présenter sous son meilleur angle…

lundi 20 avril 2009

Episode soixante-sept

- Il faut qu’on parle de quelque chose qui ne va pas être drôle du tout.
- Ah bon ? C’est bizarre, j’étais persuadé qu’on était dans une comédie !Pourquoi ce mystère ?
- Il y a peut-être une solution, sans qu’on soit vraiment sûr…
- Eh bien, allez-y !
- Ben, c’est pas facile. Cette solution met en danger l’un de nous…
- La notion de danger ne veut plus rien dire pour moi: je suis prêt à tout !
- Il ne s’agit pas de toi!
- Que veux-tu dire ? Qui alors ?
- C’est le caramel; lui seul pourra peut-être la sauver…
- Comment ça ?
- Je… Tu sais bien depuis le début que le caramel ne tient pas son âme de sa nature de caramel… Les caramels ne sont pas des objets: ils ne sont que de la nourriture d’un ancien temps.
- Mais d’où lui vient son âme alors ???
- C’est là que ça pose problème. Le caramel n’a pas une âme de caramel: c’est impossible. L’âme qu’il a acquise provient du sachet qui l’entoure. Ce sachet fabriqué par les mains de l’homme; c’est là que se tient son âme, cela m’étonne d’ailleurs que tu ne t’en sois pas douté. Le problème est, qu’avec le temps, le sachet a confondu sa nature avec celle du caramel, c’est un phénomène fréquent pour la nourriture emballée…
- C’est vrai, j’avais oublié ce détail : le caramel ne pense et n’existe que grâce au sachet qui l’entoure…
- Exact, mais lui est persuadé qu’il est caramel, il en a même oublié son sachet, c’est assez compliqué comme situation…
- Tout ça ne me dit pas la fameuse solution qu’elle t’a indiquée par télépathie!
- J’y viens, j’y viens… Il semblerait, vois-tu, que le caramel –je dis bien le caramel, et non le sachet- puisse redonner des forces à l’Insoumise. Elle n’a plus avalé de vraie nourriture depuis longtemps. Elle n’en est pas sûre, mais elle pense que la douceur du caramel lui donnerait un peu de bonheur. Elle ne sait pas si cela suffira. Mais elle se souvient d’avant Virtua-World. Quand ça n’allait pas, elle prenait un caramel ou du chocolat, et la force lui revenait…
- Mais pourquoi n’a-t-elle rien dit avant ?
- Elle n’est pas sûre, je te dis. Elle n’exclut pas la possibilité que l’ingestion du caramel la tue sur le champ, son organisme n’étant plus habitué à ce genre de chose…
- … Et, même si je ne suis plus humaine, j’ai quelques scrupules à faire du mal à quelqu’un ou quelque chose qui me veut du bien…
- Voilà une solution que je n’avais pas imaginée! Tu penses que ce caramel ridicule suffirait à te redonner de la force ?
- Peut-être pas le caramel en lui-même; c’est vrai qu’il est petit, mais son goût… Ce goût de sucre qu’il me semble n’avoir jamais connu tellement je l’ai oublié. Deux choses me procuraient du bonheur dans mon ancienne vie : l’amour et le sucre… Je crois bien que pour l’amour ce n’est plus la peine…

jeudi 16 avril 2009

Episode soixante-six

Personne n’avait plus rien à dire après une telle intervention. Le caramel était éprouvé; il se ramollissait dans son sachet.

L’Insoumise s'adossa au mur, assise sur le matelas. Elle regardait ce petit caramel gravement. Elle ne pleurait plus mais son visage s’habillait d’une étrange culpabilité; elle se mordait les lèvres. Le caramel ne la regardait plus, il bondit sur le rebord de la fenêtre, histoire de prendre un peu l’air après ce fatiguant monologue.

Le regard de l’Insoumise glissa alors sur le chapeau, puis se fixa sur le chat. Elle avait les mêmes yeux que lui, surtout un : un œil était normal, l’autre présentait une fente verticale à la place de la pupille, cela montrait qu’ils avaient essayé une fois de la connecter. Ca n’avait pas marché, mais la fente était restée minuscule. De son œil de chat et de son œil d’ancienne humaine, elle regardait le félin, l’air absent.

Le chapeau ne voulait pas le croire, mais le chat et l’Insoumise étaient en train de communiquer par télépathie. Il était déçu et jaloux de ne pas participer et se demandait bien ce qu’ils avaient de si important à se dire qui ne pouvait passer par la parole… Il ne supportait pas, lui, le couvre-chef, de ne pas être au courant de tout.

Le chat se tourna vers lui et brisa l’inquiétant silence :

- Il faut qu’on en parle.

- De quoi faut-il qu’on parle ? C’est quoi ces histoires ?

- Attends un peu…


Le chat regarda la fenêtre avant de se tourner de nouveau vers le chapeau. Le caramel était sur le rebord; il ne les entendait pas.

mercredi 15 avril 2009

Episode soixante-cinq

- Tu dis rien ? Tu as perdu ta langue ? Que comptes tu faire ? Que crois tu qu’il va t’arriver si nous partons ? Tu souhaites donc décrépir un peu plus chaque jour ? Que ta raison s’épuise à petit feu, tu veux leur montrer qu’ils ont gagné ? Qu’ils avaient raison de faire tout ça ? Tu veux servir de symbole aux tristes descendants de Virtua-World : « Cléophée, l’exemple même qui vous montre qu’il ne faut pas se rebeller contre Virtua-World !!! Ne faites jamais comme elle, messieurs-dames, sinon vous finirez complètement tarés au fond d’un phare ! Restez bien tranquillement connectés à Virtua-World, ceux qui se rebellent ne résistent jamais au traitement de choc qu’on leur impose, vous êtes prévenus ! Ce n’est pas grand’chose, mais cela a suffi à venir à bout de la plus puissante des Insoumises… Son fiancé s’est suicidé, c’est ce qui l’a perdue… On n’a pas voulu la tuer, nous : vous savez bien que la peine de mort est interdite dans notre monde parfait. Elle s’est juste laissé mourir, toute seule, dans son phare, parce qu’elle s’était rebellée… » Tout ça pour ça! Sauf qu’ils oublieront de dire, les futurs historiens de Virtua-World, que l’Insoumise avait tout de même eu la chance unique de pouvoir peut-être s’en sortir, grâce à un chapeau, un chat et un caramel. Mais elle avait refusé: elle était tellement résignée qu’elle avait laissé passer la minuscule chance, ils avaient gagné. Vive Virtua-World...
- Arrête ton discours!
- … mon discours était terminé ma belle, je n’ai plus rien à te dire.

lundi 13 avril 2009

Episode soixante-quatre

Pour la première fois depuis le début de cette aventure, le chapeau pleura. Silencieusement et sans larmes, comme le font les objets.

Mais il n’était pas seul dans cette aventure et le caramel, peut-être parce qu’il était moins lucide, refusait de ne plus y croire… Il bondit sur le tapis, juste à côté d’elle.


- Nous ne partirons pas avant d’avoir tenté l’impossible! Tu peux pleurer, gémir, te rouler en boule dans tous les coins de la pièce, on ne te laissera pas tranquille! Tu ne te rends pas compte de ce que ça représente, pour nous, d’être là devant toi ! On n’est pas des humains, on n’est pas ton fiancé, c’est sûr. Mais quand même, si on est là, c’est parce que tu comptes pour nous, peut-être même que c’est parce qu’on t’aime… Tu crois quoi ? Tu crois qu’on irait, comme ça, aider n’importe quel humain, sous prétexte que la plupart ont disparu ? Tu crois que je ne préférerais pas être ailleurs, avec ma fiancée, car moi aussi j’ai une fiancée vois-tu? Si on est avec toi aujourd’hui, c’est parce que le chapeau te connaît, il nous a raconté ton histoire, et ça a suffi à motiver les deniers êtres qui ne sont pas encore pervertis par ce nouveau monde. Nous t’aurions laissée tranquille, si seulement il ne nous avait pas dit que tu pouvais le faire… Ah, tu vois, tu ne pleures plus ! Tu me regardes de ces yeux qui ont vu tant d’horreurs. Je te comprends, Insoumise, même si tu ne me crois pas. Je sais que les hommes t’ont déçue, t’ont déchirée. Tout cela n’aurait jamais du arriver. Je me demande parfois s’il n’aurait pas été préférable que les hommes s’exterminent tous un bon coup… Un bon coup de bombe atomique sur la planète entière, ça aurait été mieux que tout le reste, que ce gouffre de Virtua-World!

jeudi 9 avril 2009

Episode soixante-trois

Le caramel se creusait la tête. Lui, ce qui l’aurait rendu heureux, c’est de revoir sa suave sucette mais il savait bien que ce n’était pas le moment. C’était elle qu’il fallait rendre heureuse, pas lui.
La chaleur qu’ils dégageaient s’intensifia tout au long de la nuit. Les trois aventuriers non-humains réfléchissaient encore lorsque la lueur du jour vint augmenter cette chaleur. C’était le matin et aucun des trois, malgré toute la volonté que chacun y avait mis, n’avait trouvé de solution.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, l’Insoumise regarda le caramel; les souvenirs de la veille lui revinrent. Sans mot dire, elle se leva et prit un verre sale qui traînait à côté de sa couche. Elle ouvrit une capsule siglée Virtua-World (les objets fabriqués par et pour Virtua-World étaient évidemment sans âme) qui traînait là elle aussi; elle en sortit une gélule argentée qu’elle mit dans le verre. Aussitôt, grâce à la merveilleuse technologie de Virtua-world, le verre fut rempli d’une eau bleutée. Elle la but lentement.

Le chapeau était désespéré de n’avoir rien trouvé. Quant aux deux autres ils étaient trop fatigués par leur nuit de veille pour éprouver ce désespoir.

- Alors, vous êtes toujours là ? Vous n’avez donc pas abandonné cette quête vaine ? Au moins, vous me faites un peu de compagnie, c’est déjà ça! Mais vous feriez mieux de repartir… Votre place n’est pas ici. Vous devriez fuir, chercher s’il existe ailleurs une zone qui n’est pas contaminée par Virtua-World, qui sait…
- Voilà un discours surprenant, Insoumise. Toi qui ne crois plus en rien, surtout en l’humain, tu nous parles d’un monde qui ne serait pas encore perverti par cette technologie omnipotente ? Avoue que c’est assez inattendu!
- Je ne sais si cet endroit existe, mais je sais que vous ne pouvez rien faire pour moi, vous perdez votre temps!
- Ok, on partira s’il le faut… Mais quand même… Je suis sûr que tu ne nous dis pas tout. Réfléchis bien, il existe encore quelque chose qui, aujourd’hui, te rendrait heureuse, nous en sommes certains!

L’Insoumise éclata d’un rire effrayant à la remarque du chapeau, puis le rire se transforma en sanglots, en soubresauts larmoyants. Elle n’était plus humaine. Aucun humain ne pleurait comme ça. Elle n’était qu’un tas de spasmes silencieux. Elle enfonça ses ongles dans son crâne, une goutte pourpre apparut sur les cheveux d’argent, puis elle se roula en boule au pied de son matelas. Elle leur tournait le dos; elle n’avait plus conscience qu’ils étaient là. Elle-même n’était plus là: elle était nichée au fond de sa désespérance, au fond de son gouffre…

lundi 6 avril 2009

Episode soixante-deux

Le caramel, satisfait de son petit effet, fit un bond vers l’Insoumise et se tourna vers elle.

Les minces soupirs du sommeil de Cléophée accompagnaient le ronronnement du félin. Dans un autre contexte ils auraient tous trouvé que l’ambiance était particulièrement agréable. L’heure était à la réflexion, au recueillement, à tous ces moments d’intense méditation que l’homme se croyait le seul capable d’atteindre. Ils réfléchissaient tous tellement, avec tant de foi, tant de détresse, qu’une suave chaleur s’installa dans la pièce.

L’Insoumise avait l’air de bien dormir. Elle ne bougeait pas, respirait régulièrement. Ses cils esquissaient de légers soubresauts. Elle rêvait. Pour une fois elle rêvait, elle ne cauchemardait pas. Un spectateur en aurait eu la certitude en voyant, de temps à autres, le coin de ces lèvres pâles et presque mortes se relever. Elle souriait, troublante cicatrice au milieu d’un visage désenchanté. Peut-être rêvait-elle de bonheur…

Quel calme concentré régnait dans ce phare ! Les objets réfléchissaient comme ils ne l’avaient jamais fait, jamais ils n’avaient autant voulu quelque chose. Jamais leur petite âme d’objet, si fragile, si improbable (si déçue par les hommes) n’avait cherché le salut d’un humain.

Le caramel ne pensait plus à sa sucette, le chat ne pensait plus au lointain goût du crabe. Ils ne pensaient tous qu’à la solution, si solution il y avait.

L’Insoumise, bien paisible dans son sommeil, était loin de se douter que ça chauffait autant dans leurs âmes… Ou bien du fond de son sommeil elle s’en doutait effectivement, pénétrée elle aussi par cette chaleur languissante, souriant de sentir autant d’esprits s’agiter sur son sort.


Que pouvaient ces objets, pour sauver une ancienne humaine que plus rien ne sauvait ? Pouvaient ils vraiment prétendre la rendre plus heureuse, la faire redevenir humaine, au sens le plus noble que pouvait encore avoir ce terme ?

Seules les vagues, clamant leur chant écumeux au dehors, devaient le savoir…

jeudi 2 avril 2009

Episode soixante-et-un

- Non, c’est sûr… On ne pourra jamais ressusciter son fiancé. Mais j’ai connu il y a bien longtemps des gens qui, après avoir vécu l’horreur, retrouvait la force d’être heureux: c’est une question de volonté. Mais, à chaque fois que j’ai vu des humains remonter le gouffre, leur entourage y était en partie pour quelque chose…
- Tu veux dire, ô sage chat, que les humains ne peuvent retrouver le bonheur que grâce à leurs congénères ?
- Euh, pas exactement, je ne sais pas trop… Non, je me dis que ce serait trop restrictif. Je ne sais pas si l’homme peut être heureux dans la solitude mais je sais que l’un d’eux a pensé, et écrit un jour « l’enfer c’est les autres »; mon maître répétait souvent cette phrase avant de mourir. Peut-être que cela signifie que l’homme a la capacité d’être heureux en étant seul…
- Ah, Jean-Paul Sartre avait d’assez bonnes réflexions… L’Insoumise doit également penser ça. Il est possible en effet que les hommes puissent s’épanouir seuls, le contraire serait désespérant. Mais tout de même… Aucun philosophe n’a subi la même horreur que Cléophée!
- Vous me faites bien rire avec vos débats philosophiques ! Vous croyez que l’heure est aux réflexions sur l’existentialisme ?
- Bon sang, mais tu connais la philosophie de Sartre ?
- Cen'est pas parce que je ne trône pas sur les têtes comme toi que je ne connais rien. Je ne suis qu’un caramel, mais j’ai tout de même entendu les humains parler de Sartre!

Le chapeau était surpris: ce caramel sortait décidément de l’ordinaire…
- … Mais ce n’est pas Sartre qui va sauver l’Insoumise pour l’instant. Nous avons besoin d’une solution rapide… et concrète ! Si elle a lu tous les bouquins qui traînent ici, elle doit saturer des grandes pensées. On va arrêter de philosopher et on va réfléchir, chacun de son côté, pendant qu’elle dort. Il y a une solution, je le sens. Donc, on arrête de parler, on s’isole un peu et on réfléchit : le premier qui a l’ombre d’une idée valable prévient les autres.