vendredi 31 juillet 2009

Episode 85

Elle qui ne pesait qu'un souffle s’envolait désormais.
Celle qui ne croyait plus en rien épuisait ses forces dans un dialogue télépathique avec le noyau de ce monde détesté.
Elle visualisait le monstre, parcelle après parcelle. Son esprit reconstitua un à un chaque câble qui correspondait à une vie virtuelle. Une fois qu’elle eut visualisé les milliards de câbles reliés à ce sombre Léviathan, son esprit retrouva, dans des miettes de mémoire, les arcanes secrets du langage des objets.
Elle se mit à parler à l’Omphalôn. Avec les mots qu’il fallait, et toute la douceur du monde, elle essaya d’expliquer à ce noyau répugnant la nécessité de sa disparition. Elle lui raconta l’histoire des hommes, depuis leur origine jusqu’à leur déchéance. Elle énuméra tout d’abord les défauts, les horreurs, les guerres que la créature soi-disant fabriquée par Dieu avait commises. Elle n’oublia rien, et reconnut avec l’Omphalôn combien l’homme était un être détestable. L’énumération de ces déceptions dura un long moment.
Elle s’élevait désormais à quelques mètres du sol, immobile et résistante face aux rafales de pluie qui s’abattaient sur elle. Les éclairs zébraient l’obscurité rugissante et le halo métallique entourant l’Insoumise s’étendait maintenant sur quelques mètres.

Aux alentours de la plage, les Virtua-cops étaient aux abois : des troupes d’intervention d’urgence se préparaient. Ils avaient détecté, malgré la tempête, la lueur anormale qui se propageait au bout des rochers. Ils attendaient les renforts.

mardi 28 juillet 2009

Episode 84

Ils avaient essayé désespérément de la connecter. Verouillant son esprit, elle avait fait le vide, jusqu’à un état proche de la mort : elle avait éteint volontairement son cerveau malgré la torture. Leur tentative avait échoué; ce n’était pas pour rien qu’elle appartenait à la race des Insoumis. Ils avaient ensuite effacé ce souvenir de sa mémoire. Du moins il croyaient l’avoir effacé, ils ne se doutaient certainement pas qu’un caramel insignifiant viendrait faire remonter tous ces souvenirs à la surface.
Dans l’esprit de l’Insoumise, l’Omphalôn grouillait, sombre monstre générateur de toutes ces fausses vies… Mais en elle grouillait une haine plus forte que tout. Cette haine chimiquement oubliée refaisait surface dans une âme qui avait tout perdu, pendant qu’un caramel sans âme continuait son voyage dans son organisme.
Le temps se remettait à exister, le caramel n’allait pas agir longtemps. Les rumeurs sifflantes de la tempête se firent de plus en plus fortes. Le chapeau restait cramponné sur la tête de Cléophée, plus heureux que jamais. Le sachet atteignait lui aussi une sorte d’extase, tandis que le chat prenait des allures de Bastet, regardant au loin de ses yeux nyctalopes le futur de son monde.

Un halo argenté habillait Cléophée. Les poings serrés, les yeux toujours clos, elle n’était plus là, et plus là que jamais. Son esprit entrait dans une transe qu’elle n’avait jamais atteinte. Ses cheveux formaient autour d’elle une auréole métallique alors que ses pieds quittaient légèrement le sol.

vendredi 24 juillet 2009

Episode 83

Les vagues se déchaînaient de plus belle, elles éclaboussaient l’Insoumise en se fracassant contre les rochers. La tempête s’annonçait, mais l’étrange tas dont dépendait le sort du monde ne bronchait pas. Le chat ronronnait de plus en plus fort.

Insensible aux rafales, l’Insoumise se préparait à se relever, sa conscience revenait d’un long voyage. Le sachet n’osait rien dire mais il sentait que Cléophée se réchauffait, son sang se remettait à tambouriner jusque dans ses paumes.

Le sachet ressentit une profonde chaleur. L’Insoumise se réchauffait. Plus que ça même: elle commençait à briller. Une lueur mauve entourait tout son corps. Le sachet, le caramel et le chapeau était inclus dans cette lueur. Ils en ressentirent une profonde énergie. Le chapeau se mit à s’agiter : il revenait lui aussi. Le miracle qu’elle venait d’effectuer lui avait dans un premier temps pompé toute son énergie, elle en tirait désormais une force supérieure.

La main se referma autour du sachet, le chat se retira des hanches: il avait suffisamment ronronné.

De sa main libre l’Insoumise ajusta le chapeau sur sa tête et, toujours les yeux fermés, se releva.


La lune n’était plus visible, la mer était indistincte du ciel : les éléments se préparaient à se déchaîner.

L’Insoumise connaissait l’Omphalon: elle pouvait le visualiser car ils avaient essayé, lorsqu’elle était encore humaine, de mettre à profit sa télépathie pour le renforcer. Ils l’avaient amenée devant ce noyau sombre et gigantesque, d’où sortaient des milliards de fils qui s’enfonçaient dans la terre.

jeudi 16 juillet 2009

Episode 82

Le sachet se tut, resta lové dans la paume de l’Insoumise (qu’il trouvait au demeurant fort douce et fort agréable) : il se préparait à un étrange spectacle.
Le chat s’approcha lentement du chapeau, le poussa à l’aide de son museau et réussit tant bien que mal à le poser sur la tête de l’Insoumise allongée.

Une fois sûr que le chapeau fut bien posé, alors que lui et l’Insoumise étaient toujours plongés dans une sorte de coma, il se colla aux hanches de Cléophée et mit délicatement ses deux pattes sur sa taille. Il regarda le sachet avec bienveillance, avant de fermer les yeux et se mettre à ronronner.

Certainement que les Virtua-cops voyaient, grâce à leurs yeux surpuissants, l’Insoumise affalée sur un rocher.
Certainement qu’ils ne s’en souciaient pas, c’était la routine après tout : cette fille était folle et passait son temps à se lamenter sur un rocher. Mais les Virtua-cops remarquaient-ils la petite tâche sombre qui s’était posée sur la prisonnière ?

mercredi 8 juillet 2009

Episode 81

Cléophée avait toujours les yeux clos, elle sentait venir vers elle les ondes qui ramenaient le chapeau.

Tous ses membres se mirent à frémir, avant de trembler sérieusement.

Les tremblements devinrent convulsions. L’Insoumise gardait les yeux fermés, sentant l’énergie du chapeau qui se rapprochait.


A quelques mètres au dessus des vagues, le chapeau avançait avec une vitesse croissante qui en devenait effrayante.
Il finit par se poser en douceur aux pieds de Cléophée, avant que celle-ci ne s’effondre sur le rocher en desserrant les poings. Le chapeau et elle avaient l’air morts.

- Hé ! Ho ! Chapeau… Chapeau ! Chapeau ! Purée il répond pas !!!

Le sachet avait une voix beaucoup plus grave que le caramel, mais celui-ci lui avait transmis son incessante angoisse.

- Chapeau ! Chapeau… eau eau !!! Cléophée ?! Purée ils sont morts ! Et toi, le chat…
- Du calme, du calme, ils ne sont pas morts. Arrête de t’affoler, ça ne les fera pas revenir !
- Comment peux-tu être si sûr de toi ?
- Je le sais, c’est tout. Le chapeau fait une sorte de retour de coma, elle aussi, c’est difficile tu sais…
- Je vois, j’ai l’impression d’avoir déjà vu un matelas vivre ça. Mais… mais, on devrait pas tenter de leur retransmettre de l’énergie, comme avec le matelas ? Et… et le matelas, quand il est revenu à lui, il est parti se laisser mourir… Mon dieu, c’est affreux : ils vont mourir ! Et toi, là, tu fais ton monsieur je-sais-tout, alors que c’est l’horreur…
- Allons, allons, du calme… Je remarque en tout cas que le caramel t’a laissé en héritage, en plus de son angoisse perpétuelle, son petit côté casse-couille qui le rapprochait tant des humains. Tu te laisses submerger par l’émotion, c’est normal : ce que tu viens de vivre est difficile…
- Sa main est glacée, alors qu’elle était brûlante tout à l’heure !
- C’est normal mon grand. Sois patient, ils vont peut-être mettre un certain temps à revenir. Tu ferais mieux de te réjouir qu’elle ait réussi, plutôt que de t’affoler pour un rien. Tu peux être fier de toi.
- Tu… tu crois qu’elle va y arriver ?
- Pour l’Omphalôn ? Je le sais mais je n’ai pas envie de te le dire. Calme toi et regarde, ne parle plus. Ils nous entendent de là où ils sont et je pense que ça les fatigue…

mardi 7 juillet 2009

Episode 80

Bien positionnée face aux vagues, ses longs cheveux blancs traînant dans le vent, Cléophée serra les poings et ferma les yeux, tandis que le chapeau commençait à être effacé par les vagues.


Dans la tête de Cléophée, certaines fonctions se remettaient en marche, certaines clés ouvraient des portes depuis longtemps condamnées par Virtua-world.


Alors, avec le souvenir d’Hadrien dans un recoin de son âme, elle se mit à appeler le chapeau de toutes ses forces, mentalement, avec les mots qu’il fallait.

Le chapeau n’était plus visible, les vagues se déchaînaient.

Les poings de l’Insoumise se serrèrent encore plus, elle enfonça ses ongles dans ses paumes. Le sachet eut l’impression d’étouffer. Le chat scrutait la mer. Ses yeux d’émeraude étincelèrent lorsqu’il aperçut au loin un point jaunâtre s’élever au dessus des flots.

jeudi 2 juillet 2009

Episode 79

L’Insoumise porta le sachet à ses lèvres. Il eut peur un instant qu’elle le mange aussi. Elle ne fit que l’embrasser avec ferveur. Ses lèvres étaient brûlantes et colorées par le récent plaisir: une morte revenait à la vie. Les trois oubliés de Virtua-world étaient ébahis. Le chat prit la parole:

- Ote le chapeau et va le poser à quelques mètres, le plus loin possible. Toi, chapeau, tu ne bouges pas, tu ne réfléchis pas et tu essaies de rester en place. Cléophée va tenter de te faire venir vers elle par sa force mentale. La paille est légère, mais si elle y arrive…
- Si j’y arrive ça ne voudra pas dire forcément que je peux détruire l’Omphalon à distance!
- Essaie avec le chapeau, on verra après. Le vent commence à souffler. Tu dois vraiment te concentrer Cléophée, j’ai bien peur que l’énergie apportée par le caramel ne dure pas longtemps.

L'Insoumise ne répondit rien. L’heure était trop grave pour se perdre dans des discours inutiles.
Elle resta silencieuse et respira profondément. Elle ne dit pas qu’elle avait peur. Ce n’était pas la peine. Elle ne dit pas que son ventre la tordait, l’injuriait même de lui imposer cette agression sucrée, lui qui était formaté pour n’accepter que des gélules. Elle ne dit rien, elle s’assit, le sachet dans la main et le chapeau sur la tête.
Elle écoutait les vagues pleureuses de Virtua-world. Ses yeux régénérés fixaient l’horizon nocturne, elle en discernait la ligne sombre.
Là bas, au loin, un monde virtuel vivait dans une monotonie dangereuse. Toutes ces vies physiquement sans mouvement, ces anciens humains autrefois si vivants, végétaient dans une vie fantasmée grâce à la connexion à l’Omphalon. Chacun avait sa propre connexion, son « cordon ombilical » virtuel comme ils disent. Malgré toute la liberté dont ils disposent, les anciens humains ne coupent jamais le cordon sur Virtua-world. Cléophée ressentait enfin le besoin de tout couper.
Elle respira les vagues et se leva. Elle n’eut même pas à bouger, un vent violent la découronna, et emporta le chapeau sur l’eau, à une vingtaine de mètres. Le chat et le sachet frémirent.
Elle n’avait plus le choix.