lundi 31 mars 2008

épisode quatre

- Je ne suis pas si vieux que ça d’abord. Et l’expérience de mon âge m’est plus utile maintenant que ton insouciance juvénile!
- Toi qui as lu tant de livres, tu devrais savoir que la valeur n’attend pas le nombre des années, et que la vieillesse est une ennemie, toi qui es si cultivé !
- Ouais… bon… Corneille c’est surfait aujourd’hui… en plus tu le sors du contexte… Mais bon, ce n'est pas le problème. Moi j’ai envie de bouger. On va pas rester plantés là alors que, pour la première fois de notre vie, on est libres de faire ce qu’on veut sans que personne ne nous surprenne…On va aller vers les rochers, là-bas. On verra bien.
- Et on fait comment pour bouger, on attend superman ?
- T’es con… Mais t’es jeune aussi, ça explique. Les vents sont réguliers ici.
- Super. Ca m’avance vachement de le savoir. Il nous porte pas où on veut le vent…
- Ca, il faut être con comme un caramel pour le croire. Si tu vides ton esprit (t’auras pas de mal) et que tu focalises ta pensée sur le lieu où tu veux aller, le vent t’emporte à cet endroit. Il suffit de se concentrer. Tu vides ton esprit, tu laisses le vent venir, et tu ne penses qu’à une chose : l’endroit où tu veux aller…
- Qu’est ce que tu nous fais là… un délire mystique ? Je vois Krishna à la fin ?
- Essaie et tu verras bien, à moins que tu préfères t’encroûter et rester un pauvre caramel voué à la mollesse d’esprit ?

Le caramel, malgré cette légendaire « mollesse », fut touché dans son orgueil et révisa son discours.


- Je veux bien essayer… mais si j’arrive dans l’eau à cause de tes conneries tu auras ma mort sur la conscience. Et un caramel mort peut être beaucoup plus dangereux qu’un vivant!
- Je prends le risque : vu où j’en suis, un peu plus un peu moins… Mais il faudrait que tu sois vraiment mou du cerveau pour ne pas y arriver. Tous les objets le peuvent, mais peu le savent, se cantonnant dans leur rôle d’objet inanimé. Je répondrais au poète que nous avons une âme, même si cela ne lui plaît pas. A force de ne plus être humains, les hommes ont fini par n’avoir plus d’âme, sauf quelques rares enfants, qui pendant quelques courtes années voient encore. Comme on voyait avant. Et peu à peu nous, les objets, nous avons acquis un supplément d’âme qui ne nous était pas réservé à l’origine. Pauvres hommes, s’ils savaient…
- Ca y est, c’est reparti, les grands discours philosophiques de monsieur… Ca nous fait quoi maintenant cette âme de merde ? On est là comme deux cons à attendre rien. C’est génial. Bon, si on peut bouger, il serait temps qu’on s’y mette. Surtout que moi j’crois que c’est pas gagné ton truc. Comment tu veux que j’imagine l’endroit exact où je veux aller si je ne connais pas exactement cet endroit ? Je ne suis pas philosophe moi monsieur!
- Maintenant c’est toi qui repars dans tes plaintes sans fin. Je te dis que tous les objets y arrivent, il suffit d’y croire ! Tiens, pourquoi tu crois que tant d’objets semblent jouer des tours aux humains, qui passent parfois des heures à chercher ce qu’ils avaient posé à un endroit ? Si tous les objets en avaient conscience, on les rendrait fous les hommes. Il vaudrait d’ailleurs mieux pour eux qu’ils soient fous que cons. Ca serait plus rigolo… A force de ne croire qu’au matériel ils ont fini par le faire gagner. J’ai cru il y a quelques temps que l’espoir revenait, que les gens se remettaient à croire, à voir ce qu’il y a au delà du visible. Tous les mouvements zen, le renouveau des religions, de la kabbale… tout ça je pensais que ça allait arranger les choses. Con que j’étais je me disais que le spirituel finirait bien par l’emporter, pas le virtuel…

- Bon… ok… c’est sûr, pour une fois tu as raison… mais justement, il faut qu’on bouge maintenant... Au moins avant la nuit, tu continueras tes histoires plus tard. Montre moi maintenant. Comment le vent nous porte.

lundi 24 mars 2008

épisode trois

Le résultat était surréaliste : un chapeau, sur une plage déserte, semble s’agiter malgré lui et sans vent, comme si une bête était coincée dedans et cherchait à en sortir. Ayant enfin le silence, le chapeau se remet à parler…

- Là c’est toi qui fabules, je ne t’ai jamais promis tout çà! Je t’avais dit peut-être. Peut-être qu’on nous retrouvera un jour et qu’un illuminé aura l’idée d’écrire un livre sur nous, derniers vestiges de la vie de vacances. Mais je t’avais dit aussi qu’il y avait un risque. Le risque qu’on nous oublie, qu’on nous abandonne. Mais toi t’étais tellement jeune et ensablé que t’as juste entendu ce que tu voulais entendre… un comportement typiquement humain d’ailleurs ! Tu vas finir par devenir aussi con qu’eux. Alors que moi je suis un couvre chef, et donc un chef. Je suis le chef de moi-même, moi, monsieur ! Donc quand je prends une décision, même si c’est risqué, je ne fais pas porter le chapeau aux autres, moi ! C’est ça l’instinct de l’aventurier : la liberté assumée ! Mais tu es peut-être trop jeune encore pour comprendre tout ça, j’aurai du me douter que tu me saoulerai avec ça… Profite un peu, plutôt que de râler… T’es pas content d’être là tranquille, sans armada de mioches qui nous maltraite? Ce calme… Ecoute la mélodie des vagues, bien plus agréable que celle des humains… Carpe diem mon cher, carpe diem… Un tel calme, j’attends ça depuis des années !!!

D’un bond surpuissant pour un caramel, le prisonnier fit basculer le chapeau pour reprendre la parole :

- Ca fait déjà trois jours qu’on l’entend cette harmonie de merde, je m’ennuie moi maintenant!!! Combien de temps ça va durer encore ? Moi ils me manquent quand même les mioches, les chiens, tous ces gens. J’aurai bien aimé recroiser cette jolie sucette vanille fraise en plus, j’avais l’air de lui plaire. Elle reviendra pas elle non plus…
- Bon, tu me gaves. Maintenant c’est la sucette de monsieur, alors que sur le moment tu la trouvais trop chimique à ton goût… Toi, le grand caramel au beurre, s’unir avec une vulgaire sucette ! Je te revois l’ignorer alors qu’elle t’appelait de son bâton. Et maintenant c’est l’amour de ta vie ! Tu vois bien que tu dis n’importe quoi ! Arrête le sable mon gars, ça te réussit pas…
- Ouhais, OK, je délire… Mais toi qui a réponse à tout, tu peux me dire ce qu’on va faire maintenant tous les deux, avant qu’on finisse par s’entretuer ?
- Ben… on peut se balader, aller voir un peu s’il y a d’autres sombres héros de la mer qui errent sur cette plage… on sait jamais, et si d’ici trois jours personne n’est revenu je saurais ce qu’il faut faire, je te le dirais demain…
- Ah! Ah! la meilleure blague de l’année ! c’est toi qui hallucines maintenant… qui veux tu qu’on rencontre ? Ils sont tous partis, ils ont tout embarqué, j’te dis… à cause de cette connerie. Pff… j’aurai jamais cru que l’homme soit con à ce point, même si j’y étais un peu préparé…Y a plus personne, j’te dis! plus personne qui trouvera une quelconque utilité à un pauvre caramel, encore moins à un vieux chapeau!

jeudi 13 mars 2008

épisode deux

- J’en peux plus – s’écrie le caramel – tu m’avais dit qu’ils reviendraient au bout d’une semaine, qu’ils finiraient par saturer… Ils retrouveront le droit chemin, me disais tu, parlant comme un livre encore une fois ! Sauf que les livres, c’est une espèce protégée; y en a presque plus maintenant ! Tu fais l’intello avec tes grandes phrases toutes faites mais ça veut plus rien dire aujourd’hui. Ils reviendront pas j’te dis. On est foutus… Autant qu’eux ! La prochaine fois, tes conseils, tu te les carres. J’aurais dû suivre la pelle, le seau et le Bounty. Ils sont malins eux au moins, ils sont partis avec les gosses. Du coup, ils sont pas abandonnés, EUX, ils ont au moins un foyer. Mais toi, non ! Toi et tes rêves de liberté, tes histoires de vent qui nous portera, et tout et tout… Moralité, on est là comme deux abrutis, à se les geler et personne viendra nous chercher. Mais des deux, c’est encore moi le plus abruti. De t’avoir écouté, comme ça, aveuglément, on n’a pas idée ! ! ! Tu es plus âgé, je t’ai fait confiance, toi qui connais si bien les plages et les hommes… Ah ! Ah ! J’me marre ! Là voilà ta liberté : être comme deux cons face à la mer, à attendre rien. T’es un vrai philosophe toi !


Le chapeau hésite un moment à répondre, agité par une bise mais, intellectuel qu’il est, il ne peut s’empêcher de prendre la parole face à cet arrogant caramel qui n’a qu’un été d’âge…

- Tu me saoules maintenant avec tes reproches ! T’es bon qu’à çà. J’aurais mieux fait de te laisser bouffer par ce chien avant hier. Voilà une mort digne de toi ! Ne me rends pas responsable de leur connerie à eux; j’y suis pour rien. Je ne t’ai pas forcé à me suivre non plus. T’avais qu’à rester avec tes mioches débiles, ils auraient bien fini par te bouffer…

- Pfff… tu parles… ils sont tellement débiles comme tu dis, qu’ils aiment que les caramels aromatisés ! Fraise, café, noisette… Tous ceux-là sont partis déjà… Mais le vrai caramel mou, le vrai, le pur, au goût de beurre salé, à l’ancienne…l’ancêtre de tous…un des derniers représentants de cette noble race, celui-là, ils en veulent pas ! C’est pas assez artificiel à leur con de goût ! Au mieux, j’aurai fini dans une poubelle, alors…

- … alors pourquoi tu t’en prends à moi, mou du cerveau ? Tu pouvais partir ailleurs, non ?

- C’est toi qui m’as envouté avec tes belles paroles; la liberté, nanani, nanana…. Le chapeau et le caramel libres, héros d’un nouveau livre, d’un nouveau monde… Une vie d’aventures et tout et tout… tu parles… Si être con c’est une aventure, alors je suis Bob Morane !!!

Le chapeau, sur ces paroles, s’énerve un peu malgré sa grande sagesse et se jette d’un bond sur le caramel de façon à ce que celui-ci ne puisse plus ni bouger ni parler. Il y parvint sans grand mal.

jeudi 6 mars 2008

épisode un

Une plage dans le Sud de la France, en été, au petit matin. Le sable est désert. Seul le doux remous des vagues laisse croire qu’il y a de la vie dans cette eau.

Un matelas traîne au loin, rappelant l’emplacement d’anciennes plages privées. Rien ne bouge.

L’orange envahit peu à peu le paysage, avant de laisser la place au soleil qui, aujourd’hui encore, ne réchauffera personne.

L’aurore… moment le plus agréable sur une plage. Seuls deux objets semblent bizarrement s’agiter, près du bord. Un caramel mou, tiraillé dans son plastique ensablé, se presse contre un chapeau de paille un peu déjauni. Ils ont l’air vieux tous les deux. Ils ont surtout l’air d’attendre. Ils s’ennuient. Deux chapeaux, encore, ça irait, mais avec un caramel mou les discussions s’épuisent, même s’il est bien gentil. Leurs solitudes respectives les avaient rapprochés, un peu malgré eux, beaucoup à cause du vent, qui s’était alors arrêté.