lundi 31 août 2009

Episode 93

Elle aurait pu accepter la proposition. Rester humaine, se marier à Mélan. Faire semblant de rien, au début. Puis elle aurait pu, au bout de quelques temps, organiser une révolte, faire une tentative pour détruire ce système. Mais Mélan la répugnait. Et si elle se mariait avec lui elle serait connectée à un moment ou l’autre; elle préférait mourir qu’entrer dans Virtua-word.
Quand il avait appris qu’un Virtua-cop projetait de coucher avec l’Insoumise pour quelques livres, Mélan s’était immédiatement connecté au cerveau de ce dernier. Le viol qu’il n’avait osé faire, il le vécut virtuellement grâce au système qu’il avait inventé. Cléophée fut d’ailleurs surprise de la douceur avec laquelle s’y prenait le Virtua-cop. Mais l’esprit de Mélan avait beau y faire, Cléophée resta impassible et répugnée pendant qu’il pénétrait son corps.

Mélan avait versé des larmes après ce viol. Il avait oublié cette sensation, la tristesse: Cléophée la lui avait rappelée. Mais il était trop tard pour faire machine arrière, l’Omphalôn prenait de plus en plus d’ampleur.

La mort dans le peu d’âme qui lui restait, il laissa Cléophée dépérir dans ce phare, et passait ses journées à contempler une ancienne photo d’elle. Ce viol avait plus dégoûté Mélan que Cléophée. Il s’était résigné.

vendredi 28 août 2009

Episode 92

Mélan avait cinquante-cinq ans lors de la première arrestation de Cléophée. Malgré toute la brutalité qu’il exprimait à son égard lors de l’interrogatoire, il était intérieurement tombé en émoi devant cette Insoumise plus puissante que les autres. Elle avait refusé toutes ses avances. Malgré son manque d’humanité il n’avait pas osé la violer.

Par contre il avait été aux premières loges lorsque les Virtua-cops procédèrent aux Ultimes arrestations. Il avait pleuré de joie en voyant Hadrien se suicider. Il avait failli craquer. Il l’avait enfermée avec lui pendant vingt-quatre heures, pour lui faire comprendre qu’il l’aimait, qu’il lui donnait la chance de sa vie en lui proposant de devenir sa femme. Elle perdait tout si elle refusait. Mais elle avait déjà tout perdu. Alors elle passa sa journée à cracher sur Mélan, à l’insulter. Celui-ci, englouti par son charme, la laissait faire. Cette homme réputé pour être un monstre de froideur éprouvait même une certaine jouissance à se faire cracher dessus par la seule femme qu’il avait aimé. Il avait passé la fin de cette journée à sourire béatement sous le flot de haine qui lui était destiné.

Ligotée sur une chaise, Cléophée s’était épuisée pendant des heures.

jeudi 27 août 2009

Episode 91

Ces opérations durèrent quelques mois. Les listes d’attente pour être connecté à l’Omphalôn diminuaient de jour en jour. Ceux qui refusaient de se soumettre à la connexion, sans être pour autant des criminels, furent également traqués. Mais les Insoumis, tous télépathes, étaient fort heureusement peu nombreux; Mélan avait réussi à les faire tous enfermer dans des phares, leur psychisme étant trop puissant pour les psycho-prisons.

Mélan avait maintenant soixante-dix ans et il ne restait plus que quelques centaines d’humains encore dans le réel: les plus calmes, les plus pacifistes, qui attendaient sagement. Tout le monde était connecté: il ne restait que les plus inoffensifs. Et Mélan.
Il n’avait voulu aucune exception. Un instant il s’était dit qu’il garderait une femme pour qu’elle reste à ses côtés. Il avait même fait ses sélections, mais il avait peur. L’expérience de ses parents le hantait. Il était persuadé qu’il reproduirait le même schéma, même avec la femme la plus aimante du monde.
Et puis, au fond de son reste d’âme, il savait que celle qu’il aimait vraiment ne l’aimerait jamais.

lundi 24 août 2009

Episode 90

Mélan avait tout d’abord crée les psycho-prisons: des cellules ovoïdes dans lesquelles les anciens criminels, shootés aux psychotropes, revivaient mentalement leurs meurtres, mais en étant à la place de leurs victimes. Ces psycho-prisonniers s’apparentaient aux martyrs de la mythologie; Sisyphe et Tantale n’avaient rien à leur envier. Cependant, alors qu’il n’était que premier ministre, les meurtres ne cessèrent pas; les guerres se multipliaient malgré tous les châtiments particulièrement barbares mis en place contre les crimes de guerre. A croire que l’homme n’avait pas peur de son horreur; il la recherchait même.


Face à cet échec, Mélan avait travaillé jour et nuit pour trouver un moyen qui permettrait à l’homme d’assouvir son instinct violent sans nuire aux autres. De cette quête effrénée de la paix était né l’Omphalôn, révolution de l’humanité.

En basant sa campagne présidentielle sur ce pacisfisme, Mélan s’était fait élire avec cent pour cent des suffrages : les hommes ne voulaient plus souffrir et lui faisaient confiance. La connexion générale avait commencé dès le lendemain des élections. Les gens s’étaient rendus en masse aux laboratoires de Virtua-connexions, ils avaient sagement connecté leurs enfants avant de subir le même sort.

Les criminels, les malfaiteurs, subirent alors une véritable chasse aux sorcières. Les Virtua-cops (des êtres mi-hommes mi-robots crées eux aussi par Mélan) les avaient traqués sans relâche. Les criminels avoués furent enfermés dans des psycho-prisons; les criminels en devenir furent connectés de force.

jeudi 20 août 2009

Episode 89

L’Omphalôn continuait d’approvisionner les vies virtuelles. Cependant son débit était ralenti. Les connectés de Virtua-world étaient désormais de vrais légumes : ils ne s’agitaient même plus dans leurs vies artificielles.
Ils assistaient, toujours passifs, au défilé de l’humanité.
En voyant leurs ancêtres, les connectés se mirent à pleurer. Comme l’Omphalôn: sans savoir pourquoi. Les sentiments n’existaient plus dans Virtua-world : le chagrin, la compassion, la haine étaient autant d’états que les connectés ne connaissaient plus. Mais ils pleuraient.

Une alarme s’était déclenchée dans le cabinet du président de Virtua-world.
Le président, Mélan, était le seul être de Virtua-world à ne pas être vraiment connecté. C’est lui qui avait crée l’Omphalôn et le système de connexion.
L’idée lui avait germé à l’adolescence, après avoir vu ses parents s’entre-tuer. Désespéré par ce double crime, il voulut supprimer la violence et la mort du monde dans lequel il vivait. En deux décennies, il mit au point ce fameux système de contrôle qui maintenait les gens dans la virtualité. Mélan avait vite compris que la violence et la haine faisaient partie de l’homme et qu’elles ressurgissaient inlassablement, fatalement, même chez les êtres qu’on croyait les plus doux.
Il s’était alors échiné pendant des années à fermer les portes du monde à ces maux. La justice, les prisons, la peine de mort : il avait compris l’inutilité de ces concepts. L’homme présentait un instinct violent, bestial; rien n’y faisait.

lundi 17 août 2009

Episode 88

A la place de leur vie virtuelle, les connectés virent s’afficher devant leurs yeux le visage rayonnant de Cléophée. Les yeux clos, le visage baigné de larmes, elle s’immisçait dans le moindre esprit de Virtua-world.


L’Omphalôn tremblait toujours, désormais il tremblait de compassion pour les anciens hommes.

Les crimes en tout genre, les infanticides, les génocides, les crimes de guerre, les attentats, les meurtres passionnels, les viols, les incestes, la haine galopante, la corruption jusqu’à l’os, le meurtre dans le sang : malgré ces horreurs l’homme devenait dans l’esprit de l’Omphalôn un être digne de vivre.

Grâce aux sept-cents.

Sept cents personnes qui rachètent l’ensemble de l’humanité.

Sept cents qui compensent, par leur grandeur d’âme, les milliards de crimes commis. Ces prénoms volontairement oubliés par l’Omphalôn venaient désormais chanter aux portes de son âme.

Les Virtua-cops qui le contrôlaient ne contrôlaient plus rien du tout, eux aussi hypnotisés par le visage argenté.

L’Omphalôn devenait autonome, son âme voyait le jour sans être pervertie par la censure prônée sur Virtua-world. Il naissait.


La pluie s’était arrêtée, seul le tonnerre rugissait encore. Cléophée flottait, en position fœtale, dans un ciel désormais métallique.

Le chapeau flottait eu dessus d’elle. Le chat était devenu statue.

Le plus proche d’elle était le sachet qui ressentait, du creux de sa paume, le cœur de Cléophée battre de plus en plus lentement. Elle était bouillante.

L’énergie fournie par le caramel commençait à s’épuiser: le ventre de l’Insoumise était creux comme jamais.

vendredi 7 août 2009

Episode 87

L’Omphalôn ne comprenait pas vraiment ce qui lui arrivait : il découvrait les charmes du dialogue par télépathie. Ces voix l’enivraient en douceur, lui qui était à l’origine de la déchéance humaine.

Le frêle corps de Cléophée se maintenait dans les airs. La lumière argentée formait alors un rayon fulgurant qui traversait les vagues jusqu’à l’Omphalôn. La foudre s’abattit sur cet éclair et provoqua une profonde décharge vers le monstre grouillant.

A l’autre bout des rochers, bien loin du phare, une armée de Virtua-cops s’apprêtait à charger. La brutalité de ces éclairs les arrêta un instant. Etant à moitié droïdes, les Virtua-cops craignaient par nature les éclairs ou les trop grosses sources d’énergie : ils pouvaient facilement être court-circuités. Ils étaient également reliés à l’Omphalôn par une connexion interne. Un système électronique (planté dans leur ancien cerveau) au code à mille chiffres constituait leur cordon. Leur inconscient, formaté, répétait inlassablement le code vital. Ils ne s’en rendaient même pas compte, et ce système sinueux les asservissait chaque seconde un peu plus à l’Omphalôn. Un Virtua-cop dont l’inconscient ne répétait plus le code était un Virtua-cop mort.

Cette masse sombre de robots anciennement humains se tenait en silence devant le premier rocher. La main sur leur faisceau pompeur d’énergie, aucun d’eux, ni même leur chef, n’osait bouger.

Ils furent les premiers connectés à ressentir un choc; une étrange sensation de flottement s’emparait d’eux. Leurs mains se crispèrent, leurs sens artificiels étaient aux aguets. Ils pressentaient un danger, les chiffres commençaient à s’agiter dans leur inconscient.

A l’autre bout des rochers, Cléophée s’épuisait à interpeller l’Omphalôn. Ce dernier, choqué par ce qu’il entendait, découvrait l’être humain sous un angle nouveau, et ne comprenait toujours pas ce qui lui arrivait. Il n’était pas programmé pour ressentir une quelconque empathie pour les hommes. Aussi il fut surpris lorsqu’il pleura à l’intérieur. Il ne savait pas pourquoi il pleurait, mais Hadrien était en train de le convaincre de l’utilité des hommes.

En imaginant les anciens hommes grâce aux esprits de Cléophée et Hadrien, l’Omphalôn ressentit, aussi surprenant que cela puisse paraître, une forte nostalgie : il commençait à regretter les anciens hommes alors qu’il ne les connaissait pas.

Tous les connectés de Virtua-world sentirent que quelque chose n’allait pas: leur vie virtuelle se suspendait, des souvenirs d’un temps ancien surgissaient.

lundi 3 août 2009

Episode 86

L’Omphalôn avait lancé une alerte : il se faisait agresser. Les Virtuacops contactaient toutes les troupes des plages alentour. La tempête n’arrangeait pas leurs projets d’intervention. Virtua-word connaissait sa première nuit agitée, elle n’était pas terminée.


L’Insoumise demeurait insensible à l’agitation, à la tempête.

Après avoir dressé un portrait pathétique des humains, elle s’attaquait à la partie la plus difficile : convaincre l’Omphalôn que les humains ne méritaient pas, malgré tout, ce qui leur arrivait.

Elle dut puiser dans son espoir oublié, dans ses pauvres restes d’amour, les quelques minces valeurs qui faisaient de l’homme un être à part.


L’Omphalôn ne céderait pas facilement: il n’était pas programmé pour s’auto-détruire sous l’influence d’une télépathe.


Soudain le souvenir douloureux d’Hadrien revint dans l’esprit de Cléophée : le caramel venait de percuter la paroi de l’estomac endormi.

Cléophée ne croyait pas assez en la beauté de l’humain. Elle avait besoin d’Hadrien,qui avait toujours été plus philanthrope qu’elle. Fouillant dans les limbes, l’esprit de Cléophée alla retrouver celui du seul homme qu’elle ait vraiment aimé. Grâce au caramel et à l’énergie lumineuse qu’elle dégageait, elle unit une dernière fois son âme à celle d’Hadrien.

Ce fut lui qui parla.

Guidé par Cléophée vers l’Omphalôn, il raconta à celui-ci toutes les beautés dont l’homme était capable. L’énumération fut beaucoup moins longue que la précédente. Il énonça les quelques êtres humains qui, par leurs actes ou leurs comportements, avaient sauvé l’humanité. La liste était bien dérisoire après celle des guerres.

Les noms se mélangèrent. Des premiers hommes aux derniers, il y avait eu quelques sept-cents personnes lumineuses, qui auraient pu, peut-être, redonner à un dieu impossible la fierté d’avoir fabriqué les hommes. Hommes ou femmes, ils n’avaient guère été nombreux au fil des époques.

Le dernier prénom prononcé par l’esprit d’Hadrien fut Cléophée, celle-ci en fut surprise.