jeudi 31 juillet 2008

épisode vingt-six

- Ah ! Tu peux te confier tu sais, je n’irais pas le répéter !

- Ok, ok… Si tu préfères –et tu me jures de la fermer à propos de cette histoire…

- Je vois pas trop à qui je pourrais raconter ces secrets, mais bon, oui je te jure, je ne dirai rien !

- Bon… Je ne suis plus amoureux d’elle.

- Ah ! Tu l’as été alors !!!

- Bon, boucle la maintenant ! Je t’ai déjà dit que c’était une idée vaine et nocive de penser que les objets sont capables d’aimer. On n’est pas fait pour ça. Pas aussi bien que les humains… Disons que, oui, j’ai cru bêtement aimer cette fille. Avec le recul je me rends compte que c’était stupide. J’ai cru l’aimer parce que j’aimais ce qu’elle avait dans la tête, elle était différente des autres humains…Je me suis emballé à chaque fois qu’elle m’a mis sur sa tête. Ca a gâché une bonne partie de ma vie. Un chapeau et une humaine… Quelle absurdité !!! Alors voilà… Voilà pourquoi je pleurais tout à l’heure en te parlant d’elle… parce que je ne vaux rien en Roméo, ça ne me réussit pas ! Tu comprends peut-être mieux, maintenant, les conseils que je te donnais… Croire qu’on aime ne nous sert à rien, sinon à nous déprimer encore plus !

- Je… euh… Je ne croyais pas… je ne savais pas… c’est… c’est triste tout de même !

- Je ne te le fais pas dire. Mais le problème n’est plus là. Nos amourettes ridicules ne feront pas changer le cours des choses…

- Mais, tu veux faire quoi ? Pourquoi tu veux aller vers ce phare si tu n’es plus amoureux d’elle ?

- Parce que je ne suis pas un petit égoïste comme toi et que je pense à notre survie, à la survie de nos espèces! Et, sans les humains, je n’assure pas notre pérennité…

- Ces humains que tu détestes tant, tu veux les sauver maintenant ? Je n’y comprends rien !

- Fais un effort… Sans les humains, plus d’objets, plus de caramels, plus de chapeaux, rien que du virtuel ou des ordinateurs !!! C’est vrai que je n’aime guère les humains… Enfin, je ne les déteste pas tous. Je te rappelle qu’ils ne sont pas mauvais à la base. Je me dis que peut-être…

- Peut-être quoi ? Explique ton plan un peu, c’est flou!

lundi 28 juillet 2008

épisode vingt-cinq

Ils restèrent serrés ainsi un moment, pendant que les étoiles prenaient leurs marques dans le ciel. Peu à peu, les larmes sucrées et paillées séchèrent et le chapeau reprit ses distances. Il se mit tout contre un rocher et le caramel, courageux quoiqu’un peu lourd, se rapprocha encore de lui pour se coller au même rocher…

- Bon, ça va, ça va… on s’est soutenu parce qu’on était triste, mais tu va pas me coller tout le temps non plus !!!

- Je voudrais juste savoir pourquoi tu pleurais. Ca pourrait te faire du bien d’en parler…

- Voilà que monsieur se prend pour un psy !

- Pour un psy, non, mais pour ton ami…

- Bon, on n’est pas vraiment amis non plus, c’est la situation qui l’impose, c’est tout ! J’ai eu un moment de faiblesse devant toi, je n’aurais pas du… Ta sensibilité à fleur de peau devient insupportable !

- Oh là, oh là, du calme, hein ! Moi je demande juste ça comme ça, pour montrer que je m’intéresse. En général on apprécie, quand on est triste, de parler à quelqu’un ! Mais si ça t’ennuie, je me tais, je dis plus rien ! Mais faudra pas venir pleurer après… Non mais ! Vous vous intéressez aux autres et voilà comme on vous le rend !!! Ca fait bien plaisir, vraiment ! Je vais parler aux rochers, tiens… Eux au moins ils sauront apprécier… Ta connerie à fleur de peau devient lourde aussi, crois moi !

Le caramel mit sa parole en action et s’éloigna vers un autre rocher – à quelques centimètres. Pris de remords, le chapeau continua le manège et s’approcha de lui.

- Excuse moi…

- Oh, ce n’est pas le tout de s’excuser à chaque fois que monsieur pète un câble !

- Bon, je m’excuse, qu’est-ce que tu veux de plus ???

- Que tu me dises pourquoi tu pleurais !

- Tu es mou mais têtu ! Je pleurais… Pour la même raison que toi !

- Eh, oh, arrête un peu ! Moi je pleurais parce que tu pleurais en premier. Je ne crois pas que le sort des humains soit la seule cause de tes larmes... Y a autre chose, j’en suis sûr…

- …

- C’est cette fille, c’est ça ? C’est pour elle que tu pleures ?

- Tu dis n’importe quoi ! Je ne vois pas pourquoi je pleurerais pour une fille !!!

- Je sais pas, moi, on dirait que ce qu’ils lui ont fait te rend particulièrement triste… On dirait que tu y tiens… C’est pas une honte, tu sais, regarde moi et ma sucette !

- Ca n’a rien à voir !!!

- Ah ! Tu vois, j’ai touché un point sensible !!!

- Tu ne peux pas comparer, avec tout le respect que je lui dois, ta sucette à mon humaine, cela n’a rien à voir !

- Nous y voilà !!! Cette fille t’est plus chère que ce que tu veux bien laisser croire…

- Ne sois pas stupide… Je t’ai déjà parlé de l’amour et des objets…

- Je le savais !!! Tu es amoureux de cette fille… C’est ça, hein ? Comme moi et ma sucette !!!

- Arrête de comparer s’il te plaît, tu n’as pas vu ta sucette souffrir autant…

- Alors, elle est comment, ton amoureuse ???

- Je ne suis pas amoureux, je te dis ! Ce n’est pas moi son amoureux, c’était l’autre…

jeudi 24 juillet 2008

épisode vingt-quatre

- Comment pourrait-elle y nuire, toute seule ?

- Sa force mentale, sa télépathie ! Si elle a toutes ses forces elle peut commander à distance l’Omphalôn de Virtuaworld, et le faire exploser…

- L’Omphalôn ???

- Mon dieu, mais d’où viens tu ??? L’Omphalôn ! Si tu avais lu un peu de grec, tu saurais que ça signifie nombril ! Le nombril de Virtuaworld ! Le disque dur, le serveur auquel ils sont tous connectés ! Le générateur de toutes les vies virtuelles que les humains ont choisies à la place de leur propre vie, et dont la dernière invention est Virtuabeach…

- Cette putain de Virtuabeach qui fait que les gens ne sortent même plus de chez eux pour aller à la

plage !!!

- Eh oui, mon pauvre ami ! Après Virtuawork, Virtualove, il fallait bien qu’on arrive à Virtuabeach, « la plage comme si vous y étiez : le bruit des vagues, les sensations du sable et de l’eau, vous pourrez même nager virtuellement et vous y croire vraiment grâce aux nouveaux mini-capteurs… » Je me souviens de la pub ! Pauvres hommes… Je ne croyais pas qu’ils en arriveraient là…

- Mais, les autres insoumis, ils ont des pouvoirs aussi ???

- Ah, ça, je ne sais pas. Je n’en connais qu’une, enfin deux, avec Hadrien… J’imagine que les autres aussi devaient représenter un quelconque danger pour ce monde. C’est surement pour ça qu’ils les ont séparés, qu’ils ne les ont pas tous enfermés dans un seul endroit. J’ai entendu dire que beaucoup étaient morts. J’espère que ce n’est pas le cas pour elle…

- Et son fiancé ? Il est insoumis lui aussi ?

- Ah, le pauvre… Il l’était, oui, mais il s’est suicidé lorsque les soldats lui ont fait croire à la mort de sa fiancée. J’ai assisté à la scène. Ils sont venus sur la plage procéder aux Ultimes arrestations. Ils l’ont obligé à regarder sa femme se faire violer et martyriser. Il est tombé dans les pommes et, à son réveil, elle n’était plus là. Il n’arrivait plus à communiquer avec elle, il a donc cru qu’elle était morte. Il a réussi, malgré la vigilance des gardes, à prendre une capsule de poison mortel qu’il avait prévue pour un cas semblable…

- Mais, pourquoi ils ne l’ont pas mis dans un phare lui aussi, en même temps qu’elle ???

- Ils voulaient, mais elle était plus puissante que lui, ils se sont occupés d’elle en priorité, d’autant plus qu’elle était enceinte…

- Mais c’est affreux !!!

- Mon pauvre ami, on dirait que tu découvres la barbarie humaine ! Tu n’as pas fini !!! Ils ont d’abord mis la fille hors d’état de nuire, ce qui a laissé à l’autre le temps de se suicider. Ils étaient dépités, les soldats. Ce suicide les a profondément énervés. Du coup, ils ont fait dévoré son corps par les chiens, pour éviter une possible résurrection virtuelle… De vrais barbares!

Le silence s’installa entre les deux amis, en même temps que le crépuscule pointait son ombre. Aucun n’osait parler, il n’y avait rien à dire… Peut-être juste se recueillir quelques instants sur le triste sort des hommes.

Toutes ces nouvelles n’arrangèrent en rien la mélancolie du caramel. Le chapeau lui aussi semblait particulièrement triste et, malgré ses tentatives désespérées pour rester digne, il se mit à pleurer.

Le caramel resta bête et silencieux, ne sachant que faire. Il n’aimait pas voir les autres pleurer, ça le faisait pleurer lui aussi, comme un réflexe de mimétisme. Il pleura donc, sans trop savoir pourquoi, et se rapprocha timidement du vieux chapeau. Ce dernier eut un premier recul du à sa pudeur, puis laissa le caramel se coller contre lui. La pudeur s’oublie quand on est désespéré.

lundi 21 juillet 2008

épisode vingt-trois

- Ne t’inquiète pas. On va y aller, comme ça on sera tranquille… Tu te sens assez en forme ???
- Bof, ça va moyen. Mais t’as raison, on sera mieux à l’abri pour dormir.
- Ok, ok… Préparons-nous !
- Dis, chapeau ???
- Qu’est-ce qu’il y a encore ? Tu es trop fatigué ?
- Non, non, c’est pas ça… C’est que… je… euh… je voulais juste te dire que je… je suis content que tu sois avec moi. Malgré les disputes… je… je serais bien dans la merde si t’étais pas là !
- Oh, ça va, ça va ! Tu sais, l’heure est trop grave pour qu’on se remercie… On est quand même dans la merde, même si on est deux. Ce n’est que le début, mon ami! Longue est la route qui nous attend… Je m’isole un peu, pour me concentrer, tu devrais en faire autant !
Le caramel, quoique refroidi par l’insensibilité du chapeau, se concentra avec force. C’est vrai qu’il prenait de la bouteille. Il n’avait pas vraiment le choix.

Ils se retrouvèrent silencieusement quelques instants après, prêts à repartir pour leur épopée. La distance qui les séparait de l’intérieur des rochers était minime, le trajet sans danger. Le chapeau recouvrit donc le caramel et ils tourbillonnèrent rapidement jusqu’aux pierres grises. L’atterrissage se fit en douceur. Ils commençaient à avoir l’habitude : ils devenaient de vrais aventuriers. Ils arrivèrent entre deux rochers, ils étaient ainsi protégés des vents. Leur fatigue était maintenant bien réelle.

- Bon. Nous voilà à l’abri pour la nuit. Une nuit de repos nous fera le plus grand bien avant de partir pour le phare…

- Et le matelas, on ne le voit plus !

- Il faudra t’y faire, on ne le reverra pas de si tôt! Il est temps de laisser le matelas poursuivre sa route et de réfléchir à la nôtre.

- Ah oui ! Nôtre route vers le phare de l’Insoumise… Maintenant que nous sommes installés pour la nuit, tu peux me raconter ce que tu sais d’elle !

- Je ne la connais pas vraiment. J’ai juste été sur sa tête une ou deux fois... C’était la petite amie de mon propriétaire. J’étais là quand elle s’est fait arrêtée et embarquée vers le phare, ils n’ont pas été tendres avec elle, la pauvre ! C’était avant que tu arrives, avec ta famille, une des dernières à être venue sur cette plage. Les derniers à profiter de la vie de vacances avant de rejoindre les autres sur Virtuabeach. J’ai l’impression que ça date d’une éternité, et pourtant… Enfin bon! Avant que tu arrives, donc, mon propriétaire venait souvent ici avec ses amis et sa fiancée. Une fois il m’a mis sur elle et j’ai vu…

Le chapeau s’arrêta, visiblement troublé par ce souvenir.

- Qu’est-ce que tu as vu, putain !?

- J’ai vu la révolte… J’ai vu un esprit qui n’en pouvait plus de la tournure que prenait le monde… Elle n’était pas comme tous les autres, tu sais. Elle se demandait s’ils allaient échapper à l’emprise du virtuel, et j’ai vu son âme pleurer de voir les hommes se perdre.

- Mais qui est elle ? Que faisait elle ?

- Elle était conservatrice du dernier musée naturel, mais ce n’est pas ça qui compte. Non. Ce qui compte, c’est qu’elle est télépathe…

- Elle lit dans les pensées ?

- Pas seulement… Elle commande aux objets à distance. Elle a compris notre nature. Elle communique avec les objets et les fait bouger. Mais pour ça il faut qu’elle ait toutes ses capacités, physiques et mentales. Il faut qu’elle soit heureuse aussi. Depuis qu’elle est dans le phare elle ne peut plus rien faire, ils l’ont trop abîmée lorsqu’ils l’ont arrêtée… En même temps qu’ils violaient son corps ils parasitèrent son âme en lui ôtant toute forme de révolte. Ils l’ont lobotomisée en quelque sorte, pour être bien surs qu’elle ne nuirait pas à Virtuaworld !

mercredi 16 juillet 2008

épisode vingt-deux

- Exact! Ton discernement m'épate. Donc, c'est un phare. Et, dans ce phare, sais tu ce qu'il y a?
- Euh... non... des caramels???
- Ah! Ca m'étonnait, aussi, cet éclair d'intelligence, c'était trop beau! Et non, bougre d'ignare! Que veux tu que fassent des caramels dans un phare?
- J'en sais rien, moi... Tu me saoules avec tes questions ! Dis le moi, si tu connais la réponse !
- Bon, tu le sauras pour ta gouverne: dans les phares, il y a les Insoumis...
- Les quoi???
- Les IN-SOU-MIS !!! Les exclus, les bannis si tu préfères... ceux qui ont refusé le système virtuel.
- Aaaaaah... d'accord... tu veux dire les seuls êtres humains qui soient restés un peu intelligents???
- Voilà!!! Tu vois que quand tu fais un effort tu comprends!!! Donc ces répudiés -qui sont peu nombreux d'ailleurs- ont été placés dans les phares, un par un. Ils y sont enfermés à vie et n'ont plus aucun contact avec notre monde.
- Mais comment sais tu tout ça?
- Les années servent parfois à quelque chose, tu vois... Mais ce n'est pas le moment de perdre du temps avec ces histoires. Tu n’as donc jamais entendu des Insoumis?
- Non, ça me dit rien, j’avais vaguement entendu que des humains avaient été mis à l’écart après la création de Virtuaworld. Je croyais qu’ils étaient envoyés sur une autre planète, où qu’on s’en servait de main d’œuvre pour Virtuaworld.
- Tu es fou !!! Ils ont plutôt intérêt à les éloigner !!! Ce sont des rebelles, s’ils travaillaient pour eux ils saboteraient tout! Même en y risquant leur vie!
- Pourquoi ne pas les tuer alors ?
- Je me demande parfois si tu fais partie de ce monde !!!! Tu ne sais donc pas que la peine de mort est interdite depuis la création de Virtuaworld ?
- Pourquoi ne pas les enfermer dans une psychoprison ???
- Les psychoprisons sont pleines à craquer! De plus, les Insoumis sont dangereux… et très rares, je crois qu’ils sont aujourd’hui moins d’une dizaine. Ils étaient bien plus nombreux lors de la création de Virtuaworld, mais beaucoup sont morts à petit feu. La plupart ont trouvé le moyen de se suicider, malgré toutes les sécurités établies dans les phares. Dans quelques temps il n’en restera plus… Tout comme les livres… Toute forme d’intelligence naturelle s’efface peu à peu…
- Et tu veux qu’on aille vers ce phare pour trouver l’insoumis qui s’y trouve?
- Ta vivacité d’esprit me surprend ! Tu prends de la bouteille mon petit, c’est bien! Oui, je veux qu’on aille trouver l’Insoumis… Ou plutôt l’Insoumise, puisque, si mes souvenirs sont bons, c’est une fille…
- Une fille !!!
-Oui mon cher… et pas n’importe laquelle!
- Comment ça ? Tu la connais ???
- Oui, je la connais… Mais le vent se lève, et la nuit ne va pas tarder à tomber. Nous ferions mieux de nous rapprocher des rochers et de nous abriter. Le contact des pierres nous donnera de la force, tu verras…
- J’ai vu la force de ce connard de galet tout à l’heure, j’espère que ce sera moins rude!

dimanche 6 juillet 2008

épisode vingt-et-un

- Bon, vous arrêtez, un peu, de marmonner ainsi... L'heure est grave, mes amis. Avec tout le respect que je vous dois, je vais vous abandonner ici. J'ai été heureux, en tout cas, de vous rencontrer, merci encore...
- Putain, mais qu'est-ce qu'il nous fait, là? Il nous lâche, comme ça, d'un coup, alors qu'on vient de lui sauver la vie!!!
- ... Hmmm... Il est déjà passé de l'autre côté. Une partie de lui est revenue, mais une autre est restée dans l'autre monde, ses rayures sont restées dans le monde des ombres si tu préfères.
- Comment ça!? Tu ne m'avais pas trop dit qu'un voyage pouvait rendre taré! Il a l'air si las!
- Mais non, tu ne comprends rien, c'est toi qui me rend las à la fin! Il est heureux, voilà pourquoi il a cet air absent... Après ce qu'il a vu il a hâte de repartir. Il a enfin accompli son rêve, il nous l'a dit en plus! Seulement tu es trop occupé à geindre sur ta petite personne pour entendre les autres!
- Non, mais c'est moi qui rêve là, c'est toi qui me dis ça, monsieur "tout le monde se tait quand je parle"!
- ... Oh, ne la ramène pas s'il te plaît... je ne suis pas un boulet, moi!!! Enfin bon... Je... le matelas! Il est plus là!!! Il est en train de partir!!! Regarde là-bas!
- Ah oui! Quand même... il aurait pu rester un peu, faire des adieux plus solennels puisqu'on ne le reverra plus...
- Il est déjà ailleurs, je te l'ai dit... Il n'est plus avec nous, il nous a oubliés, on n'existe plus dans son monde. Paix à ton âme, matelas. Sans toi, nous n'aurions sûrement pas pu arriver jusqu'ici. Que le vent et la mer te portent là où tu veux... Tu feras partie des derniers héros. Nous ne t'oublierons pas...
- Oh là, ça va, ça va... Il est parti, tu l'as déjà dit. Tu nous fais quoi, là, un éloge funèbre???
- Ah oui... J'avais oublié que j'avais affaire à un être dépourvu de sensibilité, un être pour qui le respect de ceux qui ne sont plus là ne veut rien dire!
- Ne dis pas n'importe quoi, non plus! J'ai du respect pour ce matelas, je lui serais éternellement reconnaissant pour ce qu'il a fait pour nous... Mais on n'a peut-être pas besoin de faire un discours de prêtre non plus!
- Ah là là, tout se perd. Ca me fait de la peine quand même. J'aurais bien aimé qu'il continue le voyage avec nous. Il nous empêchait presque de nous disputer quand même...
- Bon, il est parti, il est parti... On ne peux pas y faire grand'chose... On va pas se lamenter pendant des heures sur son sort. Il est heureux, après tout, c'est toi qui me l'a dit !
- Oui, bon... Voyons voir... On va s'abriter derrière ces rochers pendant la nuit. On va se caler, on continuera notre route demain...
- Notre route vers où? Tu le sais au moins?
- Ecoute moi bien... Et regarde un peu... Tu vois, là-bas, tout au bout des rochers...
- Euh... oui, on dirait un phare.

jeudi 3 juillet 2008

épisode vingt

Et le caramel se tourna vers le matelas qui, effectivement, semblait plus vivant.
Quelque chose avait changé pourtant : le matelas était tout blanc, il n'avait plus aucune rayure. Le caramel se sentait plus mou que d'habitude. Le chapeau, faisant preuve d'un surprenant self-control, supervisait le tout...
- Ohé, matelas... ça va??? Comment tu te sens??? Parle lui, toi, plutôt que t'endormir, là! Il faut lui parler sans arrêt, il ne faut pas le lâcher! Allez!!!
- Putain c'est pas fini encore!!! Bon... Oh, matelas... Ca va??? Reviens, matelas! Reviens parmi nous! De supers aventures nous attendent !!!
- Bon, ça va, ça va, j'ai compris... Si c'est pour lui raconter des conneries c'est pas la peine!
- Ecoute, je lui raconte ce que je peux, ce qui me passe par la tête et, désolé, mais je n'ai plus tous mes esprits après ce qu'on vient de vivre...
- Allez, c'est reparti! Les jérémiades sans fin du caramel mou, deuxième épisode!
- Ah, c'est sûr que monsieur sait mieux parler ! Il fait tout mieux que les autres d'ailleurs! A se demander si monsieur a besoin des autres! Peut-être que monsieur aurait réussi tout seul à ranimer le matelas aussi...
- Bien sûr, bien sûr... Continue... Défoule tes nerfs sur moi encore une fois, vas-y, fais toi plaisir!
- Non, mais c'est pas vrai... J'ai failli mourir à cause de votre voyage et vous vous disputez encore!!! Vous n'en avez pas marre à la fin? On dirait un vieux couple d'humains, quand ils s'engueulent à la moindre occasion parce qu'ils ne s'aiment plus!!! Vous êtes des caricatures d'humains, vraiment ! A croire que les conneries qu'ils font vous inspirent... Je me demande bien pourquoi j'ai accepté de vous aider!
- ... Ah! Enfin, tu reviens!
- Oui, merci quand même! Je ne pourrais plus vous accompagner bien loin, je me sens vieux, fatigué... C'est la première fois que je vois la mer de si près. Grâce à vous j'ai osé accomplir mon rêve: voir enfin cette étendue bleutée qui m'est pourtant si familière... O mes amis! Comme je regrette de ne pas l'avoir fait avant ! Profitez, mes enfants, profitez de toute cette vie qu'il vous reste. Les humains ne vous ont pas trop abîmés, saisissez votre chance, trop d'objets ont péri sans avoir accompli un quart de ce que vous avez fait... Continuez, au moins pour eux, allez aussi loin que votre route vous mène. On se restreint toujours en ne voulant rien risquer. Vous êtes libres, enfin, c'est un devoir pour vous d'en profiter, aux noms de tous les autres...
Le caramel et le chapeau étaient profondément intimidés par ce qu'ils entendaient. Ils étaient un peu bêtes en effet, de se disputer aussi fréquemment. Le chapeau se pencha vers le caramel pour lui chuchoter, pendant que le matelas se tournait vers la mer...
- C'est normal, qu'il parle autant d'un coup. C'est fréquent après un tel voyage. Il a vu la fin de près, il s'affole...
- Il me fait peur, quand même, il est tout blanc le pauvre...
- C'est normal, ça aussi... Comme pour les humains... Le choc a été rude pour lui!!!

mardi 1 juillet 2008

épisode dix-neuf

- Bon, bon, bon... Allez, les gars, il faut sortir de cette torpeur, vous n'allez pas vous laisser abrutir par un voyage, quand même! Pas vous!!!
Le caramel était encore plein de sable, il se secoua un grand coup avant de reprendre la parole avec peine.
- Putain, cette fois-ci, j'ai bien cru que j'allais y passer ! Qu'est-ce qu'il a le matelas? Il n'a pas l'air d'aller bien fort...
- Je ne sais ce qu'il nous a fait celui-là encore, il est fou de nous avoir amenés si loin! Un peu plus et on finissait à l'eau. Il a du mal évaluer la trajectoire, c'est typique, ça, chez les objets qui n'ont jamais trop bougé. J'aurais du me méfier aussi... Pfff
Le matelas avait en effet l'air mal en point. Il était tout ensablé et immobile: les deux autres le crurent mort.
- Eh!!! Ca y est, on est arrivé! Il faut sortir de la transe maintenant, reviens parmi nous !!!

Aucune réponse du côté matelassé. Le caramel, quant à lui, ne pu masquer son agitation.
- Putain, mais qu'est ce qu'il nous fait??? Il est pas mort quand même!?
- Non... pas encore en tout cas... Il est pris dans la transe, il n'arrive pas à revenir. Il faut le bouger et le forcer à arrêter la transe, sinon il peut y rester...
- Quoi??? Mais tu m'avais dit que les voyages ne tuaient pas les objets. Tu m'as encore raconté n'importe quoi!!!
- Du calme, du calme... il est pas mort, j'te dis, ton matelas ! Il fait une sorte d'overdose, un coma éthylique... comme si sa propre énergie l'avait saoulé pendant le voyage... Ca fait un peu plus d'effet qu'un décalage horaire. Il faut absolument qu'on le fasse sortir de sa torpeur!
- Ah ouhais? Et comment on fait??? On tente une ronde autour de lui en marmonnant des chants indiens, c'est ça, monsieur le chaman???
- Tu crois vraiment que c'est le moment de faire le malin? Je doute que tu connaisses grand'chose à propos du chamanisme... Mais ce n'est pas la question. Aide moi, plutôt. Il nous reste assez d'énergie à tous les deux pour qu'on la lui transmette... Allez, on va essayer de le faire bouger, c'est la seule solution... surtout ne pas le laisser immobile.
- Bien sûr! Et comment comptes tu faire, ô grand maître, pour le bouger, alors qu'il est dix fois plus lourd que nous???
- T'es tombé dans une marmite de scepticisme quand tu étais petit? Tu me fais signe, dès que t'arrêtes de douter, on pourra alors s'attaquer aux choses sérieuses! Avoir confiance, de temps en temps, ça peut servir... Bon, maintenant tu m'écoutes, le sort de ce matelas est entre nos mains. Il n'y a pas de pire mort que celle provoquée par un voyage. Il voulait mourir, ce matelas, mais pas de cette façon... Donnons lui un sursis, afin qu'il puisse au moins mourir comme il l'entend. On lui doit bien ça. On va se coller chacun à l'une de ses extrémités, on se concentre un moment en pensant uniquement à la vie qu'a pu avoir ce matelas. Tu verras, au bout d'un moment, si tu te concentres assez, tous les souvenirs du matelas se présenteront à ton esprit, de son enfance jusqu'à aujourd'hui. Ne te laisse surtout pas déstabiliser par ces souvenirs. Tu seras en quelque sorte connecté à son âme, qui est sur le point de quitter son corps, tu vas donc te voir à un moment, tu vas voir notre arrivée comme l'a vue le matelas, ne sois pas surpris... Une fois que tous ces souvenirs auront défilé, tu enverras ton énergie vers moi, je te renverrai la mienne... Normalement on devrait créer un courant d'énergie assez fort pour provoquer sur ce vieux matelas une sorte d'électrochoc, il faut que nos deux ondes se rencontrent. Il faudra peut-être le faire plusieurs fois. C'est assez fatiguant mais on est capables d'y arriver... Allez, il faut s'y mettre! Je ne te demande même pas si tu te sens prêt, de toute façon tu vas encore vouloir remettre en question ce que je viens de t'expliquer, nous n'avons pas le temps. Si tu ne tentes pas le coup, je continue l'aventure seul, tu n'as pas le choix. Tu as tout compris?
- ... Mmouhais, à peu près... je commence à me faire à ton enseignement... bien obligé de toute façon! Allez... on va tenter ton truc, on verra bien...

Le caramel et le chapeau se mirent chacun à une extrémité du matelas mal en point. Ils se collèrent tous deux à la toile délavée et prirent une profonde inspiration. L'odeur iodée qu'il dégageait mit le caramel mal à l'aise. Il prit sur lui et se concentra quand même. Comme le chapeau l'avait annoncé, une multitude d'images inconnues envahirent l'esprit du caramel. Il vit la plage peuplée d'humains qui allaient et venaient autour du matelas. Ca lui donnait le tournis, tous ces gens. Son énergie surpassa le vertige, il tenait le coup. Le chapeau lui aussi se prenait toutes ces images, comme s'il s'appropriait toute la vie du matelas, une vie qu'il ne connaissait pas, lourde de décevantes expériences... L'énergie dépensée était si forte qu'un halo de lumière les entoura. Ce halo emprunta plusieurs couleurs, il fut d'abord orange, puis rouge. Les aventuriers firent un suprême effort de concentration et le halo devint violet. Ils tressaillirent alors et s'envoyèrent leur énergie l'un vers l'autre. Un énorme rayon violet traversa le matelas, qui fit de petits soubresauts, d'abord imperceptibles. Le chapeau et le caramel s'épuisaient mais n'abandonnèrent pas l'affaire. Un second éclair, plus lumineux que le précédent, envahit le matelas. Les souvenirs avaient disparu, c'était à présent un tunnel lumineux qui envahissait l'esprit des deux sauveurs. Ils ressentirent alors une profonde sérénité, le caramel n'avait jamais connu cet état. Ils s'envolèrent tous les trois, à quelques mètres du sol, le matelas ondulait comme un tapis volant. Ils restèrent un instant suspendus au dessus du sol, une pluie de petites gouttes nacrées s'écoulant d'eux. Ils retombèrent brutalement dans une explosion de sable humide... Une douce lumière les enveloppa...
- Putain! J'en peux plus, je n'ai plus aucune force, j'ai chaud! Je me sens pas bien...
- Du calme, du calme... C'est fini, repose toi. Regarde: on a réussi!!!