jeudi 10 septembre 2009

Episode 96

L’Omphalôn implosa.

Les milliards de circuits mis au point par Mélan pour satisfaire tous les délires virtuellement humains grillèrent lentement. Les connectés voyaient leurs rêves, leurs vies partir en fumée. Ils profitaient quelques derniers instants des restes de leur vie virtuelle.

Les enfants s’arrêtèrent de voler, les adultes tentaient désespérément de s’accrocher aux poussières de leur bonheur artificiel; les Virtua-cops faisaient leur possible pour retenir les chiffres qui s’effaçaient déjà.

Chaque connecté courait virtuellement après ce qu’il perdait. Un chaos virtuel se mettait doucement en place.


Du côté des rochers, Cléophée flottait de plus en plus haut, les contours de son corps se fondaient désormais dans la lumière métallique.


Cléophée s’effaçait.


Les pouvoirs sucrés quittaient son organisme, son âme était déjà bien loin.

Mélan assistait impuissant à la destruction de sa création. L’aorte qui alimentait son cœur refusa d’en supporter plus. Mélan s’effondra, en pensant une dernière fois à sa vie et à toutes celles qu’il avait gâchées.


Le chat était rocher, le sachet et le chapeau se fondaient à Cléophée. La lumière métallique s’intensifia, le ciel devint un immense éclair.



Un tonnerre fracassant.


Le silence.


La mer. Les rochers. Le phare.


Et, quelque part, un petit nombre d’humains qui ne savaient pas encore ce qu’il leur arrivait.





FIN d'un monde

lundi 7 septembre 2009

Episode 95

Les tremblements de l’Omphalôn se propageaient; les connectés en ressentirent de profondes secousses.

L’air vibrionnait autour de l’Insoumise. Son esprit s’attachait désespérément à celui d’Hadrien, pour une dernière danse. Les esprits des sombres héros ne formaient qu’un avec ceux des deux Insoumis : chacun luttait à son échelle pour maintenir l’énergie.
L’Omphalôn ne sentait même plus la présence de son géniteur: il était hypnotisé, obsédé par la triste condition humaine. Les noms des sept cent s’enchaînaient, de plus en plus vite, se mélangeaient. Cette ronde de noms finit par n’en former qu’un, extrêmement long. C’était un nom imprononçable, un nom que seuls les objets pouvaient entendre.

La tempête se suspendit, le silence total tomba sur ce monde. Les Virtua-cops, les connectés, Mélan même : ils étaient tous statufiés, dans l’attente.

Le mystérieux nom résonnait en chacun, faisait naître un profond chagrin au cœur de l’Omphalôn. Mélan eut une dernière pensée volontaire pour ses parents : ils étaient à l’origine de ce monde sans âme.

Alors, au milieu d’une nuit éternelle, Cléophée fit un ultime effort, savourant dans sa bouche les derniers restes de salive sucrée.

jeudi 3 septembre 2009

Episode 94

Aussi, lorsque l’alarme retentit dans sa chambre, il n’eut pas besoin d’écouter le message : il savait qu’il s’agissait d’elle.

Mélan courut jusqu’à l’Omphalôn, le seul enfant qu’il eut jamais, un enfant de la haine. Il arriva essoufflé devant la bête, son vieux corps lui rappelait qu’il était tristement humain. L’Omphalôn était incandescent. Mélan avait lui aussi été télépathe, mais il s’était lui-même ôté ces pouvoirs car les objets ne l’aimaient pas. Alors que les pouvoirs de Cléophée étaient guidés par l’amour, ceux de Mélan ne manifestaient qu’un mépris vis-à-vis des objets, et ces pouvoirs s’étaient plusieurs fois retournés contre lui. Notamment lorsqu’il avait tenté, par la pensée, de faire s’envoler le flingue que son père tenait entre ses mains.

Il n’avait donc plus vraiment de pouvoir sur l’Omphalôn, ce dernier était devenu autonome au fil du temps.

Mélan le regardait, terrorisé.

Il sentait la fin de son enfant approcher, il ne pouvait rien y faire. Même s’il n’était pas connecté, il voyait lui aussi le visage de Cléophée et cette vision le tétanisait.


L’Omphalôn n’en pouvait plus. Il portait en lui la misère humaine et n’en supportait plus le poids.

Même s’il était le fruit de son travail, il n’avait jamais aimé Mélan: il s’y était juste soumis, docilement, comme un objet sans vie se soumet à l'humain.

lundi 31 août 2009

Episode 93

Elle aurait pu accepter la proposition. Rester humaine, se marier à Mélan. Faire semblant de rien, au début. Puis elle aurait pu, au bout de quelques temps, organiser une révolte, faire une tentative pour détruire ce système. Mais Mélan la répugnait. Et si elle se mariait avec lui elle serait connectée à un moment ou l’autre; elle préférait mourir qu’entrer dans Virtua-word.
Quand il avait appris qu’un Virtua-cop projetait de coucher avec l’Insoumise pour quelques livres, Mélan s’était immédiatement connecté au cerveau de ce dernier. Le viol qu’il n’avait osé faire, il le vécut virtuellement grâce au système qu’il avait inventé. Cléophée fut d’ailleurs surprise de la douceur avec laquelle s’y prenait le Virtua-cop. Mais l’esprit de Mélan avait beau y faire, Cléophée resta impassible et répugnée pendant qu’il pénétrait son corps.

Mélan avait versé des larmes après ce viol. Il avait oublié cette sensation, la tristesse: Cléophée la lui avait rappelée. Mais il était trop tard pour faire machine arrière, l’Omphalôn prenait de plus en plus d’ampleur.

La mort dans le peu d’âme qui lui restait, il laissa Cléophée dépérir dans ce phare, et passait ses journées à contempler une ancienne photo d’elle. Ce viol avait plus dégoûté Mélan que Cléophée. Il s’était résigné.

vendredi 28 août 2009

Episode 92

Mélan avait cinquante-cinq ans lors de la première arrestation de Cléophée. Malgré toute la brutalité qu’il exprimait à son égard lors de l’interrogatoire, il était intérieurement tombé en émoi devant cette Insoumise plus puissante que les autres. Elle avait refusé toutes ses avances. Malgré son manque d’humanité il n’avait pas osé la violer.

Par contre il avait été aux premières loges lorsque les Virtua-cops procédèrent aux Ultimes arrestations. Il avait pleuré de joie en voyant Hadrien se suicider. Il avait failli craquer. Il l’avait enfermée avec lui pendant vingt-quatre heures, pour lui faire comprendre qu’il l’aimait, qu’il lui donnait la chance de sa vie en lui proposant de devenir sa femme. Elle perdait tout si elle refusait. Mais elle avait déjà tout perdu. Alors elle passa sa journée à cracher sur Mélan, à l’insulter. Celui-ci, englouti par son charme, la laissait faire. Cette homme réputé pour être un monstre de froideur éprouvait même une certaine jouissance à se faire cracher dessus par la seule femme qu’il avait aimé. Il avait passé la fin de cette journée à sourire béatement sous le flot de haine qui lui était destiné.

Ligotée sur une chaise, Cléophée s’était épuisée pendant des heures.

jeudi 27 août 2009

Episode 91

Ces opérations durèrent quelques mois. Les listes d’attente pour être connecté à l’Omphalôn diminuaient de jour en jour. Ceux qui refusaient de se soumettre à la connexion, sans être pour autant des criminels, furent également traqués. Mais les Insoumis, tous télépathes, étaient fort heureusement peu nombreux; Mélan avait réussi à les faire tous enfermer dans des phares, leur psychisme étant trop puissant pour les psycho-prisons.

Mélan avait maintenant soixante-dix ans et il ne restait plus que quelques centaines d’humains encore dans le réel: les plus calmes, les plus pacifistes, qui attendaient sagement. Tout le monde était connecté: il ne restait que les plus inoffensifs. Et Mélan.
Il n’avait voulu aucune exception. Un instant il s’était dit qu’il garderait une femme pour qu’elle reste à ses côtés. Il avait même fait ses sélections, mais il avait peur. L’expérience de ses parents le hantait. Il était persuadé qu’il reproduirait le même schéma, même avec la femme la plus aimante du monde.
Et puis, au fond de son reste d’âme, il savait que celle qu’il aimait vraiment ne l’aimerait jamais.

lundi 24 août 2009

Episode 90

Mélan avait tout d’abord crée les psycho-prisons: des cellules ovoïdes dans lesquelles les anciens criminels, shootés aux psychotropes, revivaient mentalement leurs meurtres, mais en étant à la place de leurs victimes. Ces psycho-prisonniers s’apparentaient aux martyrs de la mythologie; Sisyphe et Tantale n’avaient rien à leur envier. Cependant, alors qu’il n’était que premier ministre, les meurtres ne cessèrent pas; les guerres se multipliaient malgré tous les châtiments particulièrement barbares mis en place contre les crimes de guerre. A croire que l’homme n’avait pas peur de son horreur; il la recherchait même.


Face à cet échec, Mélan avait travaillé jour et nuit pour trouver un moyen qui permettrait à l’homme d’assouvir son instinct violent sans nuire aux autres. De cette quête effrénée de la paix était né l’Omphalôn, révolution de l’humanité.

En basant sa campagne présidentielle sur ce pacisfisme, Mélan s’était fait élire avec cent pour cent des suffrages : les hommes ne voulaient plus souffrir et lui faisaient confiance. La connexion générale avait commencé dès le lendemain des élections. Les gens s’étaient rendus en masse aux laboratoires de Virtua-connexions, ils avaient sagement connecté leurs enfants avant de subir le même sort.

Les criminels, les malfaiteurs, subirent alors une véritable chasse aux sorcières. Les Virtua-cops (des êtres mi-hommes mi-robots crées eux aussi par Mélan) les avaient traqués sans relâche. Les criminels avoués furent enfermés dans des psycho-prisons; les criminels en devenir furent connectés de force.

jeudi 20 août 2009

Episode 89

L’Omphalôn continuait d’approvisionner les vies virtuelles. Cependant son débit était ralenti. Les connectés de Virtua-world étaient désormais de vrais légumes : ils ne s’agitaient même plus dans leurs vies artificielles.
Ils assistaient, toujours passifs, au défilé de l’humanité.
En voyant leurs ancêtres, les connectés se mirent à pleurer. Comme l’Omphalôn: sans savoir pourquoi. Les sentiments n’existaient plus dans Virtua-world : le chagrin, la compassion, la haine étaient autant d’états que les connectés ne connaissaient plus. Mais ils pleuraient.

Une alarme s’était déclenchée dans le cabinet du président de Virtua-world.
Le président, Mélan, était le seul être de Virtua-world à ne pas être vraiment connecté. C’est lui qui avait crée l’Omphalôn et le système de connexion.
L’idée lui avait germé à l’adolescence, après avoir vu ses parents s’entre-tuer. Désespéré par ce double crime, il voulut supprimer la violence et la mort du monde dans lequel il vivait. En deux décennies, il mit au point ce fameux système de contrôle qui maintenait les gens dans la virtualité. Mélan avait vite compris que la violence et la haine faisaient partie de l’homme et qu’elles ressurgissaient inlassablement, fatalement, même chez les êtres qu’on croyait les plus doux.
Il s’était alors échiné pendant des années à fermer les portes du monde à ces maux. La justice, les prisons, la peine de mort : il avait compris l’inutilité de ces concepts. L’homme présentait un instinct violent, bestial; rien n’y faisait.

lundi 17 août 2009

Episode 88

A la place de leur vie virtuelle, les connectés virent s’afficher devant leurs yeux le visage rayonnant de Cléophée. Les yeux clos, le visage baigné de larmes, elle s’immisçait dans le moindre esprit de Virtua-world.


L’Omphalôn tremblait toujours, désormais il tremblait de compassion pour les anciens hommes.

Les crimes en tout genre, les infanticides, les génocides, les crimes de guerre, les attentats, les meurtres passionnels, les viols, les incestes, la haine galopante, la corruption jusqu’à l’os, le meurtre dans le sang : malgré ces horreurs l’homme devenait dans l’esprit de l’Omphalôn un être digne de vivre.

Grâce aux sept-cents.

Sept cents personnes qui rachètent l’ensemble de l’humanité.

Sept cents qui compensent, par leur grandeur d’âme, les milliards de crimes commis. Ces prénoms volontairement oubliés par l’Omphalôn venaient désormais chanter aux portes de son âme.

Les Virtua-cops qui le contrôlaient ne contrôlaient plus rien du tout, eux aussi hypnotisés par le visage argenté.

L’Omphalôn devenait autonome, son âme voyait le jour sans être pervertie par la censure prônée sur Virtua-world. Il naissait.


La pluie s’était arrêtée, seul le tonnerre rugissait encore. Cléophée flottait, en position fœtale, dans un ciel désormais métallique.

Le chapeau flottait eu dessus d’elle. Le chat était devenu statue.

Le plus proche d’elle était le sachet qui ressentait, du creux de sa paume, le cœur de Cléophée battre de plus en plus lentement. Elle était bouillante.

L’énergie fournie par le caramel commençait à s’épuiser: le ventre de l’Insoumise était creux comme jamais.

vendredi 7 août 2009

Episode 87

L’Omphalôn ne comprenait pas vraiment ce qui lui arrivait : il découvrait les charmes du dialogue par télépathie. Ces voix l’enivraient en douceur, lui qui était à l’origine de la déchéance humaine.

Le frêle corps de Cléophée se maintenait dans les airs. La lumière argentée formait alors un rayon fulgurant qui traversait les vagues jusqu’à l’Omphalôn. La foudre s’abattit sur cet éclair et provoqua une profonde décharge vers le monstre grouillant.

A l’autre bout des rochers, bien loin du phare, une armée de Virtua-cops s’apprêtait à charger. La brutalité de ces éclairs les arrêta un instant. Etant à moitié droïdes, les Virtua-cops craignaient par nature les éclairs ou les trop grosses sources d’énergie : ils pouvaient facilement être court-circuités. Ils étaient également reliés à l’Omphalôn par une connexion interne. Un système électronique (planté dans leur ancien cerveau) au code à mille chiffres constituait leur cordon. Leur inconscient, formaté, répétait inlassablement le code vital. Ils ne s’en rendaient même pas compte, et ce système sinueux les asservissait chaque seconde un peu plus à l’Omphalôn. Un Virtua-cop dont l’inconscient ne répétait plus le code était un Virtua-cop mort.

Cette masse sombre de robots anciennement humains se tenait en silence devant le premier rocher. La main sur leur faisceau pompeur d’énergie, aucun d’eux, ni même leur chef, n’osait bouger.

Ils furent les premiers connectés à ressentir un choc; une étrange sensation de flottement s’emparait d’eux. Leurs mains se crispèrent, leurs sens artificiels étaient aux aguets. Ils pressentaient un danger, les chiffres commençaient à s’agiter dans leur inconscient.

A l’autre bout des rochers, Cléophée s’épuisait à interpeller l’Omphalôn. Ce dernier, choqué par ce qu’il entendait, découvrait l’être humain sous un angle nouveau, et ne comprenait toujours pas ce qui lui arrivait. Il n’était pas programmé pour ressentir une quelconque empathie pour les hommes. Aussi il fut surpris lorsqu’il pleura à l’intérieur. Il ne savait pas pourquoi il pleurait, mais Hadrien était en train de le convaincre de l’utilité des hommes.

En imaginant les anciens hommes grâce aux esprits de Cléophée et Hadrien, l’Omphalôn ressentit, aussi surprenant que cela puisse paraître, une forte nostalgie : il commençait à regretter les anciens hommes alors qu’il ne les connaissait pas.

Tous les connectés de Virtua-world sentirent que quelque chose n’allait pas: leur vie virtuelle se suspendait, des souvenirs d’un temps ancien surgissaient.

lundi 3 août 2009

Episode 86

L’Omphalôn avait lancé une alerte : il se faisait agresser. Les Virtuacops contactaient toutes les troupes des plages alentour. La tempête n’arrangeait pas leurs projets d’intervention. Virtua-word connaissait sa première nuit agitée, elle n’était pas terminée.


L’Insoumise demeurait insensible à l’agitation, à la tempête.

Après avoir dressé un portrait pathétique des humains, elle s’attaquait à la partie la plus difficile : convaincre l’Omphalôn que les humains ne méritaient pas, malgré tout, ce qui leur arrivait.

Elle dut puiser dans son espoir oublié, dans ses pauvres restes d’amour, les quelques minces valeurs qui faisaient de l’homme un être à part.


L’Omphalôn ne céderait pas facilement: il n’était pas programmé pour s’auto-détruire sous l’influence d’une télépathe.


Soudain le souvenir douloureux d’Hadrien revint dans l’esprit de Cléophée : le caramel venait de percuter la paroi de l’estomac endormi.

Cléophée ne croyait pas assez en la beauté de l’humain. Elle avait besoin d’Hadrien,qui avait toujours été plus philanthrope qu’elle. Fouillant dans les limbes, l’esprit de Cléophée alla retrouver celui du seul homme qu’elle ait vraiment aimé. Grâce au caramel et à l’énergie lumineuse qu’elle dégageait, elle unit une dernière fois son âme à celle d’Hadrien.

Ce fut lui qui parla.

Guidé par Cléophée vers l’Omphalôn, il raconta à celui-ci toutes les beautés dont l’homme était capable. L’énumération fut beaucoup moins longue que la précédente. Il énonça les quelques êtres humains qui, par leurs actes ou leurs comportements, avaient sauvé l’humanité. La liste était bien dérisoire après celle des guerres.

Les noms se mélangèrent. Des premiers hommes aux derniers, il y avait eu quelques sept-cents personnes lumineuses, qui auraient pu, peut-être, redonner à un dieu impossible la fierté d’avoir fabriqué les hommes. Hommes ou femmes, ils n’avaient guère été nombreux au fil des époques.

Le dernier prénom prononcé par l’esprit d’Hadrien fut Cléophée, celle-ci en fut surprise.

vendredi 31 juillet 2009

Episode 85

Elle qui ne pesait qu'un souffle s’envolait désormais.
Celle qui ne croyait plus en rien épuisait ses forces dans un dialogue télépathique avec le noyau de ce monde détesté.
Elle visualisait le monstre, parcelle après parcelle. Son esprit reconstitua un à un chaque câble qui correspondait à une vie virtuelle. Une fois qu’elle eut visualisé les milliards de câbles reliés à ce sombre Léviathan, son esprit retrouva, dans des miettes de mémoire, les arcanes secrets du langage des objets.
Elle se mit à parler à l’Omphalôn. Avec les mots qu’il fallait, et toute la douceur du monde, elle essaya d’expliquer à ce noyau répugnant la nécessité de sa disparition. Elle lui raconta l’histoire des hommes, depuis leur origine jusqu’à leur déchéance. Elle énuméra tout d’abord les défauts, les horreurs, les guerres que la créature soi-disant fabriquée par Dieu avait commises. Elle n’oublia rien, et reconnut avec l’Omphalôn combien l’homme était un être détestable. L’énumération de ces déceptions dura un long moment.
Elle s’élevait désormais à quelques mètres du sol, immobile et résistante face aux rafales de pluie qui s’abattaient sur elle. Les éclairs zébraient l’obscurité rugissante et le halo métallique entourant l’Insoumise s’étendait maintenant sur quelques mètres.

Aux alentours de la plage, les Virtua-cops étaient aux abois : des troupes d’intervention d’urgence se préparaient. Ils avaient détecté, malgré la tempête, la lueur anormale qui se propageait au bout des rochers. Ils attendaient les renforts.

mardi 28 juillet 2009

Episode 84

Ils avaient essayé désespérément de la connecter. Verouillant son esprit, elle avait fait le vide, jusqu’à un état proche de la mort : elle avait éteint volontairement son cerveau malgré la torture. Leur tentative avait échoué; ce n’était pas pour rien qu’elle appartenait à la race des Insoumis. Ils avaient ensuite effacé ce souvenir de sa mémoire. Du moins il croyaient l’avoir effacé, ils ne se doutaient certainement pas qu’un caramel insignifiant viendrait faire remonter tous ces souvenirs à la surface.
Dans l’esprit de l’Insoumise, l’Omphalôn grouillait, sombre monstre générateur de toutes ces fausses vies… Mais en elle grouillait une haine plus forte que tout. Cette haine chimiquement oubliée refaisait surface dans une âme qui avait tout perdu, pendant qu’un caramel sans âme continuait son voyage dans son organisme.
Le temps se remettait à exister, le caramel n’allait pas agir longtemps. Les rumeurs sifflantes de la tempête se firent de plus en plus fortes. Le chapeau restait cramponné sur la tête de Cléophée, plus heureux que jamais. Le sachet atteignait lui aussi une sorte d’extase, tandis que le chat prenait des allures de Bastet, regardant au loin de ses yeux nyctalopes le futur de son monde.

Un halo argenté habillait Cléophée. Les poings serrés, les yeux toujours clos, elle n’était plus là, et plus là que jamais. Son esprit entrait dans une transe qu’elle n’avait jamais atteinte. Ses cheveux formaient autour d’elle une auréole métallique alors que ses pieds quittaient légèrement le sol.

vendredi 24 juillet 2009

Episode 83

Les vagues se déchaînaient de plus belle, elles éclaboussaient l’Insoumise en se fracassant contre les rochers. La tempête s’annonçait, mais l’étrange tas dont dépendait le sort du monde ne bronchait pas. Le chat ronronnait de plus en plus fort.

Insensible aux rafales, l’Insoumise se préparait à se relever, sa conscience revenait d’un long voyage. Le sachet n’osait rien dire mais il sentait que Cléophée se réchauffait, son sang se remettait à tambouriner jusque dans ses paumes.

Le sachet ressentit une profonde chaleur. L’Insoumise se réchauffait. Plus que ça même: elle commençait à briller. Une lueur mauve entourait tout son corps. Le sachet, le caramel et le chapeau était inclus dans cette lueur. Ils en ressentirent une profonde énergie. Le chapeau se mit à s’agiter : il revenait lui aussi. Le miracle qu’elle venait d’effectuer lui avait dans un premier temps pompé toute son énergie, elle en tirait désormais une force supérieure.

La main se referma autour du sachet, le chat se retira des hanches: il avait suffisamment ronronné.

De sa main libre l’Insoumise ajusta le chapeau sur sa tête et, toujours les yeux fermés, se releva.


La lune n’était plus visible, la mer était indistincte du ciel : les éléments se préparaient à se déchaîner.

L’Insoumise connaissait l’Omphalon: elle pouvait le visualiser car ils avaient essayé, lorsqu’elle était encore humaine, de mettre à profit sa télépathie pour le renforcer. Ils l’avaient amenée devant ce noyau sombre et gigantesque, d’où sortaient des milliards de fils qui s’enfonçaient dans la terre.

jeudi 16 juillet 2009

Episode 82

Le sachet se tut, resta lové dans la paume de l’Insoumise (qu’il trouvait au demeurant fort douce et fort agréable) : il se préparait à un étrange spectacle.
Le chat s’approcha lentement du chapeau, le poussa à l’aide de son museau et réussit tant bien que mal à le poser sur la tête de l’Insoumise allongée.

Une fois sûr que le chapeau fut bien posé, alors que lui et l’Insoumise étaient toujours plongés dans une sorte de coma, il se colla aux hanches de Cléophée et mit délicatement ses deux pattes sur sa taille. Il regarda le sachet avec bienveillance, avant de fermer les yeux et se mettre à ronronner.

Certainement que les Virtua-cops voyaient, grâce à leurs yeux surpuissants, l’Insoumise affalée sur un rocher.
Certainement qu’ils ne s’en souciaient pas, c’était la routine après tout : cette fille était folle et passait son temps à se lamenter sur un rocher. Mais les Virtua-cops remarquaient-ils la petite tâche sombre qui s’était posée sur la prisonnière ?

mercredi 8 juillet 2009

Episode 81

Cléophée avait toujours les yeux clos, elle sentait venir vers elle les ondes qui ramenaient le chapeau.

Tous ses membres se mirent à frémir, avant de trembler sérieusement.

Les tremblements devinrent convulsions. L’Insoumise gardait les yeux fermés, sentant l’énergie du chapeau qui se rapprochait.


A quelques mètres au dessus des vagues, le chapeau avançait avec une vitesse croissante qui en devenait effrayante.
Il finit par se poser en douceur aux pieds de Cléophée, avant que celle-ci ne s’effondre sur le rocher en desserrant les poings. Le chapeau et elle avaient l’air morts.

- Hé ! Ho ! Chapeau… Chapeau ! Chapeau ! Purée il répond pas !!!

Le sachet avait une voix beaucoup plus grave que le caramel, mais celui-ci lui avait transmis son incessante angoisse.

- Chapeau ! Chapeau… eau eau !!! Cléophée ?! Purée ils sont morts ! Et toi, le chat…
- Du calme, du calme, ils ne sont pas morts. Arrête de t’affoler, ça ne les fera pas revenir !
- Comment peux-tu être si sûr de toi ?
- Je le sais, c’est tout. Le chapeau fait une sorte de retour de coma, elle aussi, c’est difficile tu sais…
- Je vois, j’ai l’impression d’avoir déjà vu un matelas vivre ça. Mais… mais, on devrait pas tenter de leur retransmettre de l’énergie, comme avec le matelas ? Et… et le matelas, quand il est revenu à lui, il est parti se laisser mourir… Mon dieu, c’est affreux : ils vont mourir ! Et toi, là, tu fais ton monsieur je-sais-tout, alors que c’est l’horreur…
- Allons, allons, du calme… Je remarque en tout cas que le caramel t’a laissé en héritage, en plus de son angoisse perpétuelle, son petit côté casse-couille qui le rapprochait tant des humains. Tu te laisses submerger par l’émotion, c’est normal : ce que tu viens de vivre est difficile…
- Sa main est glacée, alors qu’elle était brûlante tout à l’heure !
- C’est normal mon grand. Sois patient, ils vont peut-être mettre un certain temps à revenir. Tu ferais mieux de te réjouir qu’elle ait réussi, plutôt que de t’affoler pour un rien. Tu peux être fier de toi.
- Tu… tu crois qu’elle va y arriver ?
- Pour l’Omphalôn ? Je le sais mais je n’ai pas envie de te le dire. Calme toi et regarde, ne parle plus. Ils nous entendent de là où ils sont et je pense que ça les fatigue…

mardi 7 juillet 2009

Episode 80

Bien positionnée face aux vagues, ses longs cheveux blancs traînant dans le vent, Cléophée serra les poings et ferma les yeux, tandis que le chapeau commençait à être effacé par les vagues.


Dans la tête de Cléophée, certaines fonctions se remettaient en marche, certaines clés ouvraient des portes depuis longtemps condamnées par Virtua-world.


Alors, avec le souvenir d’Hadrien dans un recoin de son âme, elle se mit à appeler le chapeau de toutes ses forces, mentalement, avec les mots qu’il fallait.

Le chapeau n’était plus visible, les vagues se déchaînaient.

Les poings de l’Insoumise se serrèrent encore plus, elle enfonça ses ongles dans ses paumes. Le sachet eut l’impression d’étouffer. Le chat scrutait la mer. Ses yeux d’émeraude étincelèrent lorsqu’il aperçut au loin un point jaunâtre s’élever au dessus des flots.

jeudi 2 juillet 2009

Episode 79

L’Insoumise porta le sachet à ses lèvres. Il eut peur un instant qu’elle le mange aussi. Elle ne fit que l’embrasser avec ferveur. Ses lèvres étaient brûlantes et colorées par le récent plaisir: une morte revenait à la vie. Les trois oubliés de Virtua-world étaient ébahis. Le chat prit la parole:

- Ote le chapeau et va le poser à quelques mètres, le plus loin possible. Toi, chapeau, tu ne bouges pas, tu ne réfléchis pas et tu essaies de rester en place. Cléophée va tenter de te faire venir vers elle par sa force mentale. La paille est légère, mais si elle y arrive…
- Si j’y arrive ça ne voudra pas dire forcément que je peux détruire l’Omphalon à distance!
- Essaie avec le chapeau, on verra après. Le vent commence à souffler. Tu dois vraiment te concentrer Cléophée, j’ai bien peur que l’énergie apportée par le caramel ne dure pas longtemps.

L'Insoumise ne répondit rien. L’heure était trop grave pour se perdre dans des discours inutiles.
Elle resta silencieuse et respira profondément. Elle ne dit pas qu’elle avait peur. Ce n’était pas la peine. Elle ne dit pas que son ventre la tordait, l’injuriait même de lui imposer cette agression sucrée, lui qui était formaté pour n’accepter que des gélules. Elle ne dit rien, elle s’assit, le sachet dans la main et le chapeau sur la tête.
Elle écoutait les vagues pleureuses de Virtua-world. Ses yeux régénérés fixaient l’horizon nocturne, elle en discernait la ligne sombre.
Là bas, au loin, un monde virtuel vivait dans une monotonie dangereuse. Toutes ces vies physiquement sans mouvement, ces anciens humains autrefois si vivants, végétaient dans une vie fantasmée grâce à la connexion à l’Omphalon. Chacun avait sa propre connexion, son « cordon ombilical » virtuel comme ils disent. Malgré toute la liberté dont ils disposent, les anciens humains ne coupent jamais le cordon sur Virtua-world. Cléophée ressentait enfin le besoin de tout couper.
Elle respira les vagues et se leva. Elle n’eut même pas à bouger, un vent violent la découronna, et emporta le chapeau sur l’eau, à une vingtaine de mètres. Le chat et le sachet frémirent.
Elle n’avait plus le choix.

lundi 29 juin 2009

Episode 78

- Je… j’ai l’impression de flotter.

- C’est très bon signe ça, l’impression de flotter! Ca veut dire que tu retrouves la force!

- Je… me sens mal…


Et Cléophée s’écroula sur le dernier rocher.


Le chapeau, qui était en connexion directe avec l’esprit de l’Insoumise, sentit que cet évanouissement n’était pas grave : elle tombait pour mieux se relever.

Il décida de l’aider, de lui transmettre la force qui lui restait, quitte à s’y épuiser: il voulait lui aussi servir à quelque chose.


Le chat s’approcha et se coucha en ronronnant sur les hanches de ce corps inconscient.


Alors, grâce à la force des vagues, du rocher, du caramel, du chapeau ou du chat, ou même encore grâce à sa seule force à elle, comme si la vie revenait dans un corps éteint, Cléophée ouvrit lentement les yeux. Ses deux pupilles étaient normales.


Elle caressa de sa faible main le chat, puis le poussa et s’assit. Elle ouvrit son autre main et regarda le sachet en plastique, un murmure se fit entendre…


- Merci.


Le chapeau n’en pouvait plus.


- Alors ? Comment te sens tu ?

- Bizarre… Ma bouche me fait mal, mais je pense que je supporte le caramel.

- Et ta force ? Tu sens qu'elle revient ?

- Je sens un changement, je ne sais pas...


Elle sentit gigoter dans sa main.



- Sa force revient, je le sens ! Vous m’avez pris pour qui ?


Le sachet avait une voix sensiblement différente de celle du caramel, beaucoup moins aiguë, plus mature peut-être.

mardi 23 juin 2009

Episode 77

Cléophée ferma les yeux. Peu à peu son organisme s’habituait, re-découvrait le plaisir d’ingérer de la vraie nourriture, autre chose que des gélules.

Elle garda le caramel un moment dans sa bouche, retrouvant la joie de saliver grâce au sucre. Lorsque l’information du goût sucré arriva à son cerveau, c’est une multitude de souvenirs qui lui revinrent, sans intervention du chapeau cette fois-ci. Il ne s’agissait pas seulement de souvenirs gustatifs, mais aussi de tous les moments que le chapeau lui avait rappelés auparavant.


Elle finit fatalement par mâcher le caramel un peu fondu : elle retrouvait le bonheur d’avoir des dents.


Le sachet, toujours dans sa main, ressentit une profonde douleur. Comme si on l’amputait. On l’amputait certes, mais les souvenirs du caramel, eux, restaient dans le sachet, comme des morceaux collés par le sucre.


L’œsophage de l’Insoumise souffrit lui aussi lorsqu’il dut accueillir cette nourriture salvatrice ou mortelle. Elle faillit même un instant s’étouffer et dut se retenir pour ne pas le recracher.

Elle l’avala totalement, ressentant dans le moindre détail le trajet que parcourait la friandise dans son organisme.


Son cerveau atrophié par Virtua-world ressentit une secousse violente. Elle ouvrit les yeux, puis la bouche…


mercredi 17 juin 2009

Episode 76

Elle anticipait avec une culpabilité délicieuse le goût suave que devait avoir le caramel. Mais elle avait aussi l’impression qu’elle allait manger un être humain.

Le chat enviait Cléophée : il aurait bien croqué le caramel s’il pouvait, même s’il commençait à s’y attacher.

Le chapeau ne trouvait rien à dire pour réconforter celui qui allait se sacrifier. Lui, le philosophe qui avait toujours une bonne maxime dans sa paille, lui qui connaissait tant de théories sur la vie et la mort, se sentait impuissant.

Le chapeau se tut donc, et laissa décider l’Insoumise…

- Je ne vais pas te manger ici. Nous allons descendre. Je serai mieux dehors. On sait jamais… selon comment ça tourne…

Elle se leva aussitôt, d’une force étonnante pour sa faible carcasse. Elle se baissa et pris le caramel dans ses mains. Elle n’avait pas été aussi tendre avec quelqu’un (ou quelque chose) depuis la mort d’Hadrien. Elle prit le chapeau avec une égale douceur et le mit sur sa tête. Le chat était déjà devant la porte. Le caramel se sentait serein dans sa main.

A la tombée d’une nuit, dans un phare oublié de tous, une fille fantomatique couronnée d’un vieux chapeau de paille descendait, avec comme unique cortège un maigre chat noir. Elle s’apprêtait à changer la face du monde.

Elle alla jusqu’au dernier rocher, au plus près des vagues. Le chat resta derrière elle.
Ses frêles doigts décollèrent le caramel du sachet, qu’elle prit soin de garder dans sa main droite. Elle contempla longuement le caramel qu’elle tenait dans l’autre main. Il était assez petit, assez ridicule même. C’était absurde que l’avenir du monde dépende d’un si petit tas de sucre.

L’âme du sachet fut dédoublée pendant un instant, mais il restait quelques poussières sucrées collées au sachet par le temps. Le caramel ne partait pas complètement.

Face à la lune, face aux vagues et aux étoiles, en plissant les yeux de plaisir et de peur, la courageuse Cléophée mit dans sa bouche le courageux caramel, et laissa son palais s’habituer avant de re-découvrir la saveur oubliée. C’en était presque douloureux, tout ce sucre, d’un coup, ce goût de bonheur, ce goût qui n’existait plus pour elle.
Les vagues se fracassaient, hurlant peut-être pour la mort du faux caramel.

vendredi 12 juin 2009

Episode 75

Le caramel, alerté inconsciemment par le miracle – y a-t-il un autre mot ?- qui venait d’avoir lieu, se réveilla et se rapprocha du chapeau sans rien dire.

Cléophée souriait. Le chat finit par conclure le miracle de façon fracassante.


- Alors, si tu vas mieux, tu auras bien envie de croquer ce caramel pour retrouver ta force mentale ?

- Je… J’ai faim en effet, plus que tout à l’heure… Mais je suis incapable de le manger sans son accord. Je veux bien faire souffrir des humains convertis au virtuel, mais pas un caramel qui me veut certainement plus de bien que n’importe quel être humain!


Le caramel se sentait toujours mal mais il avait fini par s’y faire. Il n’était pas un caramel. Il était un sachet en plastique. Il ne pouvait pas y changer grand’chose.

Alors, tel le futur martyr qui entre dans l’arène, digne et solennel, il s’avança doucement vers l’Insoumise pour lui offrir ce qu’il n’était plus.


- J’ai bien réfléchi: ça ne servirait à rien que je refuse de me laisser manger. Je… je n’ai jamais servi à grand’chose, alors, si je peux, pour une fois… et puis, je ne suis pas caramel, je… je vais retrouver ma vraie nature si tu me manges. C'est peut-être mieux pour moi… j’espère juste ne pas perdre toute ma raison, même si je n’en ai jamais trop eu…


Il faisait ce qu’il pouvait pour ne rien laisser paraître mais le caramel était mort de trouille; les trois autres arrivaient à le déceler.

Cléophée aussi avait peur. Le caramel risquait de perdre sa raison; elle risquait de mourir. Elle savait que son organisme n’aurait peut-être pas la capacité de supporter une nourriture impure (non fabriquée par Virtua-world). Il y avait tellement longtemps…


mardi 9 juin 2009

Episode 74

Les premières étoiles apparaissaient quand le chapeau arrêta les souvenirs. Il n’en pouvait plus, il avait épuisé sa mémoire pour ressourcer celle de Cléophée.
Les yeux toujours clos, elle pleurait encore. Mais ces pleurs étaient apaisés : ce n’était plus des sanglots de rage, presque des sanglots de bonheur. Le chapeau avait réussi. Il avait pu ouvrir cette âme en déclin et y réintégrer des souvenirs heureux, il avait redonné l’envie à un être désespéré. Il ne s’en rendait pas encore compte.

Il quitta la tête de Cléophée doucement pour rejoindre le chat…

- Pfff… Je n'en peux plus. Tu crois que ça a marché ???
- Ben, elle pleure… Ca peut être un bon signe comme un mauvais signe.
- Ca c’est le genre de réponse que j’adore. Et le caramel ? Hé, ho, caramel ?

Aucune réponse: le caramel ne bougea pas.
L’Insoumise, elle, se réveilla en sursaut…

- Qu’avez-vous fait ? Je me sens bizarre!
- Tu… Tu ne te souviens pas ?
- C’est flou… J’ai l’impression d’avoir dormi comme une masse et d’avoir fait des rêves étranges. J’étais bien, c’est la première fois que ça m’arrive…

Le chapeau regarda le chat et lui intima l’ordre silencieux de ne rien dire, le félin se contenta de ronronner.

- J’avais l’impression d’être dans une sorte de paradis. Il y avait Hadrien, mais je n’en suis pas sûre… Je ne me souviens que des sensations… Je n’ai jamais rêvé de lui depuis que je suis ici! Les virtua-cops ont pris soin de supprimer une bonne partie des souvenirs qui me restaient d’Hadrien. Le plus étrange, c’est que j’éprouve encore ces sensations agréables au réveil, je ne comprends pas…

Le chapeau, lui, comprenait, et toute sa paille débordait de joie. Il prit soin de ne pas trop le montrer…

vendredi 5 juin 2009

Episode 73

Ils entrèrent alors tous deux dans une profonde intimité, que rien n’aurait pu troubler. Le chapeau était aux anges d’être aussi proche d’elle, physiquement et mentalement. Il fit défiler avec délice les différents tableaux du bonheur d’Hadrien. Hadrien était grand, très blond et très silencieux. Sa rencontre avec Cléophée. Les nuits blanches qu’ils avaient passées ensembles à regarder les étoiles. Les histoires qu’il lui racontait, comme à une enfant, pour qu’elle trouve le sommeil. Les fous rires qu’ils camouflaient lorsqu’ils tentaient tous deux d’échapper aux Virtua-cops. Les pleurs qu’il avait versés quand il avait appris qu’elle était enceinte. La ville qu’il avait allumée, simplement par sa force mentale, une nuit mémorable, pour lui prouver son amour. Ces souvenirs caracolaient dans l’esprit unique que constituaient le chapeau et L’Insoumise.

Hadrien l’appelait la fée, la fée Cléophée. Elle n’aimait pas trop ce surnom. Et pourtant, c’est lorsque ce souvenir lui revint que des larmes se libérèrent de ses yeux. La fée Cléophée… le jeu de mots était ridicule, mais son souvenir était un insupportable bonheur.

Le chapeau fit abstraction des pleurs, qui risquaient de le couper court dans son opération.

Il se contentait de restituer, inlassablement, le sourire et le soupir languissant d’Hadrien lorsqu’il interpellait la femme qu’il aimait.


Ces moments de bonheur étaient tellement lointains, tellement impossibles aujourd’hui, que le chapeau en ressentit un léger malaise. Il avait lui aussi envie de pleurer. Tant pis, il continuait, poussé malgré lui par un sentiment qu’il n’avait pas le droit d’éprouver.


Le chat, de ses deux fentes vertes, observait le manège en ronronnant. Le caramel restait prostré contre les livres, imperméable à ce qui se passait.


Ils restèrent une éternité ainsi, jusqu’à ce que le jour se couche. Une après-midi de souvenirs heureux : il y a des vies qui ne tiennent qu’avec ça…


mardi 2 juin 2009

Episode 72

Elle s’écroula sur sa paillasse, toujours le sourire aux lèvres, ferma les yeux. Elle partait dans une rêverie du passé. La liberté de l’esprit demeure jusqu’à la fin.


Le caramel s’était éloigné jusqu’aux livres. Lui aussi rêvait: il tentait de remonter dans son existence pour retrouver sa nature de sachet en plastique. Ses souvenirs étaient brouillés, parasités par le sucre.

Le chat demeurait imperturbable et légèrement cynique.

- Si elle n’a aucune envie, vous avez fait tout ce chemin pour rien.

- Je ne fais jamais du chemin pour rien! On ne peut pas la faire retourner dans le passé, pas physiquement. Mais je connais sa vie d’avant, je connais tous ses souvenirs, ceux d’avant l’horreur.

- Ca lui fait une belle jambe!

- Si je lui raconte en détail ces souvenirs, si je les revis avec elle, si je l’aide à ne pas oublier… je lui redonnerais l’envie de lutter.

- Tu es bien sûr de toi!

- Je connaissais bien Hadrien; je peux lui raconter pendant des heures comment il était, son quotidien avec elle…

- Tu crois vraiment que ce genre d’histoire va lui redonner de la force ? J’ai bien peur au contraire que ça ne l’achève un bon coup!

- Les humains tiennent souvent grâce à leurs souvenirs heureux. Les souvenirs peuvent leur transmettre une force surprenante. Il faut bien tenter quelque chose, le nombre des derniers humains diminue d’heure en heure, ils…

- Ok, raconte lui tes histoires mais fais le mentalement: je n’ai pas envie d’entendre le merveilleux conte de fée qu’ils semblent avoir vécu tous les deux; je ne suis pas sûr que ça me fasse du bien. Si tu vois qu’elle réagit mal, arrête aussitôt, ce serait stupide de la faire mourir de tristesse !!!

- Je suis le pro pour raconter des histoires… Vous allez voir…


Et le chapeau se posa en douceur sur la tête endormie de l’Insoumise. Sa bouche s’entrouvrit, elle semblait partie dans un sommeil paisible.

Le chapeau rassembla ses souvenirs et commença mentalement à mettre des mots, des images et des sensations sur les souvenirs de l’Insoumise.


lundi 4 mai 2009

Epsiode 71

Le caramel n’en revenait pas : pour la première fois le chapeau se trouvait con, et il l’affirmait, ce qui était plutôt inquiétant.
Savoir qu’il n’était pas un caramel lui faisait l’effet d’un électrochoc: il avait l’impression que sa vie n’était qu’une immense supercherie. Il avait l’impression de mourir.

- Et… ma sucette ?
- Ben… c’est juste un bâton et un bout de plastique.
- Super!

La répartie du caramel qui n’en était plus un était anéantie par cette vérité. Un silence grave s’installa entre eux, le calme légendaire de Virtua-world n’en était que plus inquiétant.
Le chapeau aurait bien donné toute sa paille pour éviter ce sacrifice mais il ne pouvait le dire : la paille n’avait jamais réconforté les humains.
L’Insoumise, quant à elle, s’en voulait de faire souffrir. Au fond d’elle, elle s’en foutait un peu de l’avenir de Virtua-world. Elle se foutait de tout; ses semblables lui avaient ôté toute envie.
Elle puisa au fond de sa carcasse assez de force pour parler mais sa voix n’était qu’un murmure; elle s’épuisait de minute en minute. Il se passait trop de choses autour d’elle.
- Tu sais, caramel, je m’en fous pas mal de faire sauter l’Omphalon. L’homme a choisi de vivre dans le virtuel, je ne vois pas pourquoi je l’en empêcherais. C’est vous qui voulez à tout prix trouver une solution, il ne faut pas vous plaindre lorsque je vous l’annonce. Je ne sais même pas si ton sucre me donnera assez de force pour commander l’Omphalon. C’est une solution faillible, mais c’est la seule.
- Si tu ne crois pas à la destruction de l’Omphalon, si tu n’en as même pas l’envie, ce n’est pas la peine d’essayer!
- Tu parles d’un mot que je ne connais plus, l’envie… Même l’envie de mourir m’a quittée. Quant à l’envie de manger ce caramel, je dois avouer qu’elle est purement physiologique.
- Donc ce n’est même pas la peine de me manger puisque tu n’as pas au fond de toi la volonté de détruire Virtua World!
- On est là pour tenter, nous n’avons plus le choix. Je suis sûr que nous pouvons te redonner la force, te rendre heureuse à nouveau…
- Retourner dans le passé me rendrait heureuse. Revoir Hadrien, être dans ses bras, sentir son odeur… Rire avec lui du cours du monde, l’écouter jouer de la musique, danser, faire l’amour… Si je pouvais revivre tout cela, ne serait-ce qu’un instant, si je pouvais lui dire au revoir dignement, alors je crois que je serais heureuse. J’exploserai tout ce que vous voudrez, aucun problème. Mais j’ai l’impression que ces souvenirs ne m’appartiennent déjà plus…

Elle sourit faiblement à l’évocation de ces moments oubliés.

jeudi 30 avril 2009

Episode soixante-dix

- Ne sois pas trop violent…

- Non mais qu’est-ce que vous avez à me dire ? Sois violent, j’en ai déjà vu pas mal pour mon âge, de toute façon je n’ai jamais aimé les chats !

- Oh, tu sais je ne te déteste pas… tu n’es pas un caramel.


Le caramel qui n’en était plus un resta interdit, cette phrase résonnait étrangement au fond de lui.


- Qu’est-ce que tu racontes ?

- Tu crois que tu es un caramel.

- Bien sûr ! Je crois que je suis un caramel, c’est ça… Et je crois surtout que t’es un con de chat qui ne sait pas quoi raconter pour que je me fasse bouffer sans peur ! Et toi là, le philosophe, tu penses aussi que je ne suis pas un caramel ?

- Je… euh… il a raison. Malheureusement.

- Certains de tes souvenirs sont, comment dire… tu crois que tu es un caramel mais tu…seuls les objets fabriqués par les anciens hommes ou les anciennes machines ont une âme. Aucune nourriture n’est dotée d’une âme, tu comprends ?


Le caramel commençait à prendre l’affaire au sérieux, il sentait le regard de l’Insoumise peser sur lui.

- Mais, comment ça se fait ? Je me sens caramel moi, du fond de mon âme ! Que suis-je si je ne suis pas un caramel ?

- Euh… tu vois bien que tu n’es pas qu’un caramel. Tu es un caramel et un ? Un ?

- UN SACHET EN PLASTIQUE ?

- Ben oui. C’est pas si grave tu sais.

- Mais c’est du délire ! Je sens que je suis un caramel, c’est évident !

- Tu es un sachet. Sauf que ça a du trop coller, je sais pas, mais l’ancien sachet croit qu’il est un caramel…

- N’importe quoi !

- Tu ne te souviens pas. Ta nature de sachet en plastique s’est oubliée en se collant au sucre du caramel. Tu n’es pas un caramel. Ton âme d’objet n’a pas pu naître du caramel, c’est impossible…

- Ce qui est impossible, c’est que cette Insoumise me mange. Je ne me laisserai pas faire ! Et toi, le philosophe, l’intellectuel, tu cautionnes cette connerie !?

- Je ne cautionne rien du tout. Les choses sont ainsi…

- Pourquoi ne me l’as-tu pas dit avant, puisque les choses sont ainsi !

- Je ne sais pas. Ca ne m’est même pas venu à l’esprit… Je sais, pourtant, que la nourriture ne peut pas avoir d’âme. Tous ces événements ont du me faire perdre une part de bon sens, l’idée ne m’a même pas effleuré l’esprit. La question ne s’est pas posée. J’ai souvent rencontré de la nourriture emballée, souvent sucrée. A chaque fois je leur ai parlé, je les ai considérés comme des objets ayant une âme. Je me souviens d’une bande de chewing gum particulièrement insupportables… Je comprends maintenant que ce n’est pas avec eux que je dialoguais, mais avec leur emballage. Je suis stupide, j’aurais du m’en douter.

lundi 27 avril 2009

Episode soixante-neuf

Ils se retrouvèrent alors en cercle, tous les quatre, prêts à transformer ce monde.

- Tu sais, c’est assez compliqué comme situation. Je compte sur ta sagesse et ta compréhension, ça ne va pas être facile. Mais je suis sûr, tout de même… Nous nous connaissons depuis longtemps maintenant; nous avons débuté cette aventure ensemble sans le vouloir vraiment, et je dois dire que…
- Ouh là, c’est quoi ce ton solennel que tu nous prends ?
- Ecoute, moi, je ne suis pas comme le chapeau: je ne vais pas tourner pendant mille ans. Elle veut te manger; elle pense que ça lui redonnerait les forces nécessaires, ses pouvoirs télépathiques pourraient peut-être revenir.
- Quoi ! Mais c’est quoi ces conneries ? Voilà tout ce que vous avez trouvé pour vous débarrasser de moi ?! Il fallait le dire plus tôt… Mois j’me casse si vous voulez! Franchement, je m’attendais à tout, mais quand même...
- Ce ne sont pas des "conneries" comme tu dis : le chat te dit la vérité. Puisque l’amour n’existe plus pour moi, il ne me reste que le sucre…
- Non, mais j’hallucine ! Tu crois sincèrement que mon sucre suffira à te redonner des forces ? J’veux bien être jeune, mais faut pas me prendre pour un con !
- Personne ne te prend pour un con, au contraire! Si on t’en parle c’est parce qu’on a confiance en toi… Tu… Toi seul peux lui redonner cette énergie.
- Ah, évidemment: elle n’a pas envie de bouffer un chat, ça non, mais un caramel ! C’est dégueulasse !
- Il est temps qu’on t’avoue quelque chose caramel. Tu es en mesure de le comprendre je pense, et si j’attends que le chapeau te le dise on y est encore dans une semaine…

jeudi 23 avril 2009

Episode soixante-huit

- Mais… mais… ton organisme est purifié de toute ancienne nourriture humaine! Si tu ne le supportais pas ? Si, au lieu de te sauver, cette expérience causait ta mort ?

- Je suis déjà morte, gentil chapeau, et mourir une seconde fois ne m’inquiète pas. La mort m’attend si je ne fais rien, alors...

- Alors ce serait stupide de mourir à cause d’un caramel; il existe sûrement un autre moyen!

- Tu ne veux pas sacrifier ton ami, hein ? Tu sais bien qu’il n’y a pas d’autre solution, nous ne savons même pas si cela va marcher.

- Nous n’allons pas le sacrifier, puisque c’est un sachet et non un caramel!

- L'affaire est plus compliquée, tu le sais bien… Il est persuadé d’être caramel; le sachet risque de ne pas vouloir se séparer de ce qu’il contient, ça risque de le rendre fou.


Le chapeau ne trouvait rien à redire. Il l’attendait cette solution, il en avait rêvé, et maintenant qu’elle s’annonçait il la détestait. Il connaissait suffisamment le caramel pour savoir qu'il lui serait difficile d’accepter la nouvelle…


- Evidemment qu'il y a un risque! Il est jeune, il ne connaît pas grand’chose!

- Je sais bien, chapeau, malheureusement nous n’avons pas le choix, c’est notre seule chance, et encore…

- Et… Si elle le mange, l'âme du caramel va-t-elle rester dans le sachet ?

- Oui, mais elle risque d’être sacrément chamboulée.

- Nous devons le lui dire! De suite. Il est prêt à tout lui aussi, il acceptera…

- Il acceptera quoi ? C’est quoi ces messes basses ? Que dois-je accepter ?

- Accepte de descendre, déjà, on sera plus à l’aise!

- Si vous complotez dans mon dos, j’vous préviens, ça…

- Ce sont tes bonds qui te rendent parano ? Descends j’te dis, il faut qu’on se décide rapidement…


Le caramel descendit à contre cœur; son instinct lui disait que ça ne sentait pas bon pour lui. Comme quoi, les caramels ont parfois plus de jugeotte que ce qu’on croit…

Le chapeau était gêné par la situation, il ne savait comment tourner la chose pour la lui présenter sous son meilleur angle…

lundi 20 avril 2009

Episode soixante-sept

- Il faut qu’on parle de quelque chose qui ne va pas être drôle du tout.
- Ah bon ? C’est bizarre, j’étais persuadé qu’on était dans une comédie !Pourquoi ce mystère ?
- Il y a peut-être une solution, sans qu’on soit vraiment sûr…
- Eh bien, allez-y !
- Ben, c’est pas facile. Cette solution met en danger l’un de nous…
- La notion de danger ne veut plus rien dire pour moi: je suis prêt à tout !
- Il ne s’agit pas de toi!
- Que veux-tu dire ? Qui alors ?
- C’est le caramel; lui seul pourra peut-être la sauver…
- Comment ça ?
- Je… Tu sais bien depuis le début que le caramel ne tient pas son âme de sa nature de caramel… Les caramels ne sont pas des objets: ils ne sont que de la nourriture d’un ancien temps.
- Mais d’où lui vient son âme alors ???
- C’est là que ça pose problème. Le caramel n’a pas une âme de caramel: c’est impossible. L’âme qu’il a acquise provient du sachet qui l’entoure. Ce sachet fabriqué par les mains de l’homme; c’est là que se tient son âme, cela m’étonne d’ailleurs que tu ne t’en sois pas douté. Le problème est, qu’avec le temps, le sachet a confondu sa nature avec celle du caramel, c’est un phénomène fréquent pour la nourriture emballée…
- C’est vrai, j’avais oublié ce détail : le caramel ne pense et n’existe que grâce au sachet qui l’entoure…
- Exact, mais lui est persuadé qu’il est caramel, il en a même oublié son sachet, c’est assez compliqué comme situation…
- Tout ça ne me dit pas la fameuse solution qu’elle t’a indiquée par télépathie!
- J’y viens, j’y viens… Il semblerait, vois-tu, que le caramel –je dis bien le caramel, et non le sachet- puisse redonner des forces à l’Insoumise. Elle n’a plus avalé de vraie nourriture depuis longtemps. Elle n’en est pas sûre, mais elle pense que la douceur du caramel lui donnerait un peu de bonheur. Elle ne sait pas si cela suffira. Mais elle se souvient d’avant Virtua-World. Quand ça n’allait pas, elle prenait un caramel ou du chocolat, et la force lui revenait…
- Mais pourquoi n’a-t-elle rien dit avant ?
- Elle n’est pas sûre, je te dis. Elle n’exclut pas la possibilité que l’ingestion du caramel la tue sur le champ, son organisme n’étant plus habitué à ce genre de chose…
- … Et, même si je ne suis plus humaine, j’ai quelques scrupules à faire du mal à quelqu’un ou quelque chose qui me veut du bien…
- Voilà une solution que je n’avais pas imaginée! Tu penses que ce caramel ridicule suffirait à te redonner de la force ?
- Peut-être pas le caramel en lui-même; c’est vrai qu’il est petit, mais son goût… Ce goût de sucre qu’il me semble n’avoir jamais connu tellement je l’ai oublié. Deux choses me procuraient du bonheur dans mon ancienne vie : l’amour et le sucre… Je crois bien que pour l’amour ce n’est plus la peine…

jeudi 16 avril 2009

Episode soixante-six

Personne n’avait plus rien à dire après une telle intervention. Le caramel était éprouvé; il se ramollissait dans son sachet.

L’Insoumise s'adossa au mur, assise sur le matelas. Elle regardait ce petit caramel gravement. Elle ne pleurait plus mais son visage s’habillait d’une étrange culpabilité; elle se mordait les lèvres. Le caramel ne la regardait plus, il bondit sur le rebord de la fenêtre, histoire de prendre un peu l’air après ce fatiguant monologue.

Le regard de l’Insoumise glissa alors sur le chapeau, puis se fixa sur le chat. Elle avait les mêmes yeux que lui, surtout un : un œil était normal, l’autre présentait une fente verticale à la place de la pupille, cela montrait qu’ils avaient essayé une fois de la connecter. Ca n’avait pas marché, mais la fente était restée minuscule. De son œil de chat et de son œil d’ancienne humaine, elle regardait le félin, l’air absent.

Le chapeau ne voulait pas le croire, mais le chat et l’Insoumise étaient en train de communiquer par télépathie. Il était déçu et jaloux de ne pas participer et se demandait bien ce qu’ils avaient de si important à se dire qui ne pouvait passer par la parole… Il ne supportait pas, lui, le couvre-chef, de ne pas être au courant de tout.

Le chat se tourna vers lui et brisa l’inquiétant silence :

- Il faut qu’on en parle.

- De quoi faut-il qu’on parle ? C’est quoi ces histoires ?

- Attends un peu…


Le chat regarda la fenêtre avant de se tourner de nouveau vers le chapeau. Le caramel était sur le rebord; il ne les entendait pas.

mercredi 15 avril 2009

Episode soixante-cinq

- Tu dis rien ? Tu as perdu ta langue ? Que comptes tu faire ? Que crois tu qu’il va t’arriver si nous partons ? Tu souhaites donc décrépir un peu plus chaque jour ? Que ta raison s’épuise à petit feu, tu veux leur montrer qu’ils ont gagné ? Qu’ils avaient raison de faire tout ça ? Tu veux servir de symbole aux tristes descendants de Virtua-World : « Cléophée, l’exemple même qui vous montre qu’il ne faut pas se rebeller contre Virtua-World !!! Ne faites jamais comme elle, messieurs-dames, sinon vous finirez complètement tarés au fond d’un phare ! Restez bien tranquillement connectés à Virtua-World, ceux qui se rebellent ne résistent jamais au traitement de choc qu’on leur impose, vous êtes prévenus ! Ce n’est pas grand’chose, mais cela a suffi à venir à bout de la plus puissante des Insoumises… Son fiancé s’est suicidé, c’est ce qui l’a perdue… On n’a pas voulu la tuer, nous : vous savez bien que la peine de mort est interdite dans notre monde parfait. Elle s’est juste laissé mourir, toute seule, dans son phare, parce qu’elle s’était rebellée… » Tout ça pour ça! Sauf qu’ils oublieront de dire, les futurs historiens de Virtua-World, que l’Insoumise avait tout de même eu la chance unique de pouvoir peut-être s’en sortir, grâce à un chapeau, un chat et un caramel. Mais elle avait refusé: elle était tellement résignée qu’elle avait laissé passer la minuscule chance, ils avaient gagné. Vive Virtua-World...
- Arrête ton discours!
- … mon discours était terminé ma belle, je n’ai plus rien à te dire.

lundi 13 avril 2009

Episode soixante-quatre

Pour la première fois depuis le début de cette aventure, le chapeau pleura. Silencieusement et sans larmes, comme le font les objets.

Mais il n’était pas seul dans cette aventure et le caramel, peut-être parce qu’il était moins lucide, refusait de ne plus y croire… Il bondit sur le tapis, juste à côté d’elle.


- Nous ne partirons pas avant d’avoir tenté l’impossible! Tu peux pleurer, gémir, te rouler en boule dans tous les coins de la pièce, on ne te laissera pas tranquille! Tu ne te rends pas compte de ce que ça représente, pour nous, d’être là devant toi ! On n’est pas des humains, on n’est pas ton fiancé, c’est sûr. Mais quand même, si on est là, c’est parce que tu comptes pour nous, peut-être même que c’est parce qu’on t’aime… Tu crois quoi ? Tu crois qu’on irait, comme ça, aider n’importe quel humain, sous prétexte que la plupart ont disparu ? Tu crois que je ne préférerais pas être ailleurs, avec ma fiancée, car moi aussi j’ai une fiancée vois-tu? Si on est avec toi aujourd’hui, c’est parce que le chapeau te connaît, il nous a raconté ton histoire, et ça a suffi à motiver les deniers êtres qui ne sont pas encore pervertis par ce nouveau monde. Nous t’aurions laissée tranquille, si seulement il ne nous avait pas dit que tu pouvais le faire… Ah, tu vois, tu ne pleures plus ! Tu me regardes de ces yeux qui ont vu tant d’horreurs. Je te comprends, Insoumise, même si tu ne me crois pas. Je sais que les hommes t’ont déçue, t’ont déchirée. Tout cela n’aurait jamais du arriver. Je me demande parfois s’il n’aurait pas été préférable que les hommes s’exterminent tous un bon coup… Un bon coup de bombe atomique sur la planète entière, ça aurait été mieux que tout le reste, que ce gouffre de Virtua-World!

jeudi 9 avril 2009

Episode soixante-trois

Le caramel se creusait la tête. Lui, ce qui l’aurait rendu heureux, c’est de revoir sa suave sucette mais il savait bien que ce n’était pas le moment. C’était elle qu’il fallait rendre heureuse, pas lui.
La chaleur qu’ils dégageaient s’intensifia tout au long de la nuit. Les trois aventuriers non-humains réfléchissaient encore lorsque la lueur du jour vint augmenter cette chaleur. C’était le matin et aucun des trois, malgré toute la volonté que chacun y avait mis, n’avait trouvé de solution.
Lorsqu’elle ouvrit les yeux, l’Insoumise regarda le caramel; les souvenirs de la veille lui revinrent. Sans mot dire, elle se leva et prit un verre sale qui traînait à côté de sa couche. Elle ouvrit une capsule siglée Virtua-World (les objets fabriqués par et pour Virtua-World étaient évidemment sans âme) qui traînait là elle aussi; elle en sortit une gélule argentée qu’elle mit dans le verre. Aussitôt, grâce à la merveilleuse technologie de Virtua-world, le verre fut rempli d’une eau bleutée. Elle la but lentement.

Le chapeau était désespéré de n’avoir rien trouvé. Quant aux deux autres ils étaient trop fatigués par leur nuit de veille pour éprouver ce désespoir.

- Alors, vous êtes toujours là ? Vous n’avez donc pas abandonné cette quête vaine ? Au moins, vous me faites un peu de compagnie, c’est déjà ça! Mais vous feriez mieux de repartir… Votre place n’est pas ici. Vous devriez fuir, chercher s’il existe ailleurs une zone qui n’est pas contaminée par Virtua-World, qui sait…
- Voilà un discours surprenant, Insoumise. Toi qui ne crois plus en rien, surtout en l’humain, tu nous parles d’un monde qui ne serait pas encore perverti par cette technologie omnipotente ? Avoue que c’est assez inattendu!
- Je ne sais si cet endroit existe, mais je sais que vous ne pouvez rien faire pour moi, vous perdez votre temps!
- Ok, on partira s’il le faut… Mais quand même… Je suis sûr que tu ne nous dis pas tout. Réfléchis bien, il existe encore quelque chose qui, aujourd’hui, te rendrait heureuse, nous en sommes certains!

L’Insoumise éclata d’un rire effrayant à la remarque du chapeau, puis le rire se transforma en sanglots, en soubresauts larmoyants. Elle n’était plus humaine. Aucun humain ne pleurait comme ça. Elle n’était qu’un tas de spasmes silencieux. Elle enfonça ses ongles dans son crâne, une goutte pourpre apparut sur les cheveux d’argent, puis elle se roula en boule au pied de son matelas. Elle leur tournait le dos; elle n’avait plus conscience qu’ils étaient là. Elle-même n’était plus là: elle était nichée au fond de sa désespérance, au fond de son gouffre…

lundi 6 avril 2009

Episode soixante-deux

Le caramel, satisfait de son petit effet, fit un bond vers l’Insoumise et se tourna vers elle.

Les minces soupirs du sommeil de Cléophée accompagnaient le ronronnement du félin. Dans un autre contexte ils auraient tous trouvé que l’ambiance était particulièrement agréable. L’heure était à la réflexion, au recueillement, à tous ces moments d’intense méditation que l’homme se croyait le seul capable d’atteindre. Ils réfléchissaient tous tellement, avec tant de foi, tant de détresse, qu’une suave chaleur s’installa dans la pièce.

L’Insoumise avait l’air de bien dormir. Elle ne bougeait pas, respirait régulièrement. Ses cils esquissaient de légers soubresauts. Elle rêvait. Pour une fois elle rêvait, elle ne cauchemardait pas. Un spectateur en aurait eu la certitude en voyant, de temps à autres, le coin de ces lèvres pâles et presque mortes se relever. Elle souriait, troublante cicatrice au milieu d’un visage désenchanté. Peut-être rêvait-elle de bonheur…

Quel calme concentré régnait dans ce phare ! Les objets réfléchissaient comme ils ne l’avaient jamais fait, jamais ils n’avaient autant voulu quelque chose. Jamais leur petite âme d’objet, si fragile, si improbable (si déçue par les hommes) n’avait cherché le salut d’un humain.

Le caramel ne pensait plus à sa sucette, le chat ne pensait plus au lointain goût du crabe. Ils ne pensaient tous qu’à la solution, si solution il y avait.

L’Insoumise, bien paisible dans son sommeil, était loin de se douter que ça chauffait autant dans leurs âmes… Ou bien du fond de son sommeil elle s’en doutait effectivement, pénétrée elle aussi par cette chaleur languissante, souriant de sentir autant d’esprits s’agiter sur son sort.


Que pouvaient ces objets, pour sauver une ancienne humaine que plus rien ne sauvait ? Pouvaient ils vraiment prétendre la rendre plus heureuse, la faire redevenir humaine, au sens le plus noble que pouvait encore avoir ce terme ?

Seules les vagues, clamant leur chant écumeux au dehors, devaient le savoir…

jeudi 2 avril 2009

Episode soixante-et-un

- Non, c’est sûr… On ne pourra jamais ressusciter son fiancé. Mais j’ai connu il y a bien longtemps des gens qui, après avoir vécu l’horreur, retrouvait la force d’être heureux: c’est une question de volonté. Mais, à chaque fois que j’ai vu des humains remonter le gouffre, leur entourage y était en partie pour quelque chose…
- Tu veux dire, ô sage chat, que les humains ne peuvent retrouver le bonheur que grâce à leurs congénères ?
- Euh, pas exactement, je ne sais pas trop… Non, je me dis que ce serait trop restrictif. Je ne sais pas si l’homme peut être heureux dans la solitude mais je sais que l’un d’eux a pensé, et écrit un jour « l’enfer c’est les autres »; mon maître répétait souvent cette phrase avant de mourir. Peut-être que cela signifie que l’homme a la capacité d’être heureux en étant seul…
- Ah, Jean-Paul Sartre avait d’assez bonnes réflexions… L’Insoumise doit également penser ça. Il est possible en effet que les hommes puissent s’épanouir seuls, le contraire serait désespérant. Mais tout de même… Aucun philosophe n’a subi la même horreur que Cléophée!
- Vous me faites bien rire avec vos débats philosophiques ! Vous croyez que l’heure est aux réflexions sur l’existentialisme ?
- Bon sang, mais tu connais la philosophie de Sartre ?
- Cen'est pas parce que je ne trône pas sur les têtes comme toi que je ne connais rien. Je ne suis qu’un caramel, mais j’ai tout de même entendu les humains parler de Sartre!

Le chapeau était surpris: ce caramel sortait décidément de l’ordinaire…
- … Mais ce n’est pas Sartre qui va sauver l’Insoumise pour l’instant. Nous avons besoin d’une solution rapide… et concrète ! Si elle a lu tous les bouquins qui traînent ici, elle doit saturer des grandes pensées. On va arrêter de philosopher et on va réfléchir, chacun de son côté, pendant qu’elle dort. Il y a une solution, je le sens. Donc, on arrête de parler, on s’isole un peu et on réfléchit : le premier qui a l’ombre d’une idée valable prévient les autres.

lundi 30 mars 2009

Episode soixante

Ils se turent en effet. Le chat n’avait pas parlé durant le discours du chapeau, ce fut pourtant lui qui brisa le silence voué à la réflexion.


- Je sais, moi, comment il faut faire… elle est évidente la solution !!!

- Bien, nous t’écoutons!

- Ca m’étonne qu’aucun de vous deux n’y ait pensé…

- Non, on n’y a pas pensé apparemment, alors, sors nous la ta solution !

- C’est simple: il suffit de la rendre heureuse !

- Ok, je vois ce que c’est. Pour trouver une solution aussi débile ce n’est pas la peine de réfléchir ! Je croyais les chats plus intelligents! Il suffit de la rendre heureuse, bien sûr! Et tu sais comment on fait ? Les chats sont munis de l’option spéciale qui rend les Insoumises heureuses ? On en apprend tous les jours !

- Je fais fi de tes remarques désobligeantes, mais il suffirait de lui demander…

- De lui demander quoi ?

- Ah, tu vois que j’ai réfléchi. Il faut lui demander ce qui la rendrait heureuse!

- Ce qui la rendrait heureuse ! Tu veux demander à une dépressive, à une femme au fin fond du gouffre ce qui la rendrait heureuse ! Mais rien ne la rendrait heureuse ! Rien, vous l’avez bien vu: elle a tout perdu… Elle nous le disait tout à l’heure! Comment voulez-vous rendre heureux quelqu’un qui ne veut plus l’être ?

- Je suis sûr que tu noircis le tableau. L’homme a cette capacité de toujours espérer quelque chose, même quand il est au fin fond du fin fond, sinon il se tue…

- Mais elle n’est plus humaine, elle nous l’a dit, vous le voyez bien ! Elle n’en a rien à faire des derniers hommes. Elle en veut trop aux autres pour avoir envie de sauver les derniers. Elle ne veut plus être heureuse. Elle ne peut plus.

- Non, mais qu’est-ce qu’il t’arrive, à toi qui est toujours le premier à croire, toi qui nous a lancé tous les deux dans cette aventure ?

- Eh bien je ne crois plus grand’chose. De la voir, comme ça, je ne m’y attendais pas. Elle a vraiment changé…

- Il a raison, le chat: il doit bien rester quelque chose qui puisse la rendre heureuse, lui redonner la force… Toi qui connais si bien les humains, tu sais bien ce qui les rend heureux !

- Evidemment que je le sais ! Sauf que, je vous le rappelle pour la énième fois, elle ne se sent plus humaine… Revenir en arrière la rendrait heureuse, qu’elle revoit son fiancé vivant, qu’elle re-goûte à la vie qu’elle avait avant, ça la rendrait heureuse ! Les objets disposent, à l’insu des humains, d’un éventail de pouvoirs assez large, mais je doute, mes amis, que nous ayons la capacité de remonter le temps, faut pas rêver non plus…

mardi 10 mars 2009

Episode cinquante-neuf

Le chapeau, dans un élan de supériorité, bondit sur un livre qui traînait à côté de la colonne. Il s’agissait par un heureux hasard, du Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley. Il trônait donc, comme un chef misérable qui prépare ses troupes pour une ultime bataille, sachant au fond de lui que rien n’est gagné, que tout est presque perdu. Le chat s’assit à côté avec toute la classe de sa race disparue. Ils entendaient l’Insoumise respirer doucement, en rythme avec les vagues de l’extérieur. Peut-être le premier vrai sommeil depuis longtemps.

- Bon, il faut qu’on se concentre tous! Les objets n’ont pas acquis une âme pour rester impuissants face à la décadence des hommes. Il y a bien une solution, c’est obligé! Elle doit retrouver ses forces par un moyen ou un autre. Réfléchissons. Creusons nos esprits… Elle était si forte avant, si vous saviez!
- Justement, comment elle faisait pour être si forte ?
- Rien… enfin, rien de plus que d’autres humains. Elle… Elle était heureuse, tout simplement. Je crois que sa force vient en partie de ça. Son bonheur… son bonheur que ces bâtards ont saccagé, au nom d’un monde plus parfait. Je les tuerais si je pouvais !
- Tu divagues… Tu crois donc que sa force ne provenait que de ce bonheur ?
- Pas complètement. Cette force, elle l’a en elle, elle est latente. Mais elle est tellement malheureuse, tellement sans espoir aujourd’hui, j’ai bien peur que cette force soit trop enfouie pour ressortir.
- Mais c’était quoi, cette force finalement ?
- Je te l’ai déjà dit ! Comme tu l’as vu, elle parle aux objets, alors que peu d’humains le font, enfin le faisaient, je ne sais plus trop. Ca elle sait encore le faire à peu près. Mais avant… avant… elle pouvait faire bouger n’importe quel objet à distance, du plus minuscule au plus lourd… D’un regard, d’une lueur de génie elle savait les faire bouger ! En leur parlant mentalement. Doucement. Avec des mots que les objets ont envie d’entendre. Elle savait ces mots. Et les objets bougeaient selon ses désirs, jamais soumis, toujours amoureux d’elle. Quelle puissance mes amis, quelle puissance !!! De ma vie de chapeau je n’ai vu personne faire ça aussi facilement…
- C’est bien beau, c’est sûr. Mais pour l’instant elle fait pas bouger grand’chose, ta magicienne, elle fait plus rien bouger du tout, à peine sa carcasse!
- J’aimerais bien t’y voir, à sa place !
- Je ne peux pas y être à sa place, je n’y serai jamais, ce n’est pas le problème… Le problème, c’est qu’on devait trouver une magicienne super puissante et qu’on retrouve à la place une femme diminuée qui lit, qui descend de son phare le soir pour crier son désespoir, en sachant pertinemment que ces cris n’atteindront plus d’oreilles humaines… Voilà où on en est !
- Que faire ? Je ne trouve aucune solution, aucune. Taisons nous, recueillons nous, réfléchissons…

jeudi 5 mars 2009

Episode cinquante-huit

Le chapeau, dans un élan de supériorité, bondit sur un livre qui traînait à côté de la colonne. Il s’agissait par un heureux hasard, du Meilleur des mondes, d’Aldous Huxley. Il trônait donc, comme un chef misérable qui prépare ses troupes pour une ultime bataille, sachant au fond de lui que rien n’est gagné, que tout est presque perdu. Le chat s’assit à côté avec toute la classe de sa race disparue. Ils entendaient l’Insoumise respirer doucement, en rythme avec les vagues de l’extérieur. Peut-être le premier vrai sommeil depuis longtemps.

- Bon, il faut qu’on se concentre tous! Les objets n’ont pas acquis une âme pour rester impuissants face à la décadence des hommes. Il y a bien une solution, c’est obligé… Elle doit retrouver ses forces par un moyen ou un autre. Réfléchissons. Creusons nos esprits… Elle était si forte avant, si vous saviez!
- Justement, comment elle faisait pour être si forte ?
- Rien… enfin, rien de plus que d’autres humains… Elle… Elle était heureuse, tout simplement. Je crois que sa force vient en partie de ça. Son bonheur… son bonheur que ces bâtards ont saccagé, au nom d’un monde plus parfait. Je les tuerais si je pouvais !
- Tu divagues… Tu crois donc que sa force ne provenait que de ce bonheur ?
- Pas complètement… Cette force, elle l’a en elle, elle est latente. Mais elle est tellement malheureuse, tellement sans espoir aujourd’hui, j’ai bien peur que ce soit trop enfoui pour ressortir.
- Mais c’était quoi, cette force finalement ?
- Je te l’ai déjà dit ! Comme tu l’as vu, elle parle aux objets, alors que peu d’humains le font, enfin le faisaient, je ne sais plus trop. Ca elle sait encore le faire à peu près. Mais avant… avant… elle pouvait faire bouger n’importe quel objet à distance, du plus minuscule au plus lourd… D’un regard, d’une lueur de génie elle savait les faire bouger ! En leur parlant mentalement. Doucement. Avec des mots que les objets ont envie d’entendre. Elle savait ces mots. Et les objets bougeaient selon ses désirs, jamais soumis, toujours amoureux d’elle. Quelle puissance mes amis, quelle puissance !!! De ma vie de chapeau je n’ai vu personne faire ça aussi facilement…
- C’est bien beau, c’est sûr. Mais pour l’instant elle fait pas bouger grand’chose, ta magicienne, elle fait plus rien bouger du tout, à peine sa carcasse.
- J’aimerais bien t’y voir, à sa place !
- Je ne peux pas y être à sa place, je n’y serai jamais, ce n’est pas le problème… Le problème, c’est qu’on devait trouver une magicienne super puissante et qu’on retrouve à la place une femme diminuée, qui lit, qui descend de son phare le soir pour crier son désespoir, en sachant pertinemment que ces cris n’atteindront plus d’oreilles humaines… Voilà où on en est !
Que faire ? Je ne trouve aucune solution, aucune. Taisons nous, recueillons nous, réfléchissons. A nous trois on va bien trouver quelque chose…