mercredi 17 juin 2009

Episode 76

Elle anticipait avec une culpabilité délicieuse le goût suave que devait avoir le caramel. Mais elle avait aussi l’impression qu’elle allait manger un être humain.

Le chat enviait Cléophée : il aurait bien croqué le caramel s’il pouvait, même s’il commençait à s’y attacher.

Le chapeau ne trouvait rien à dire pour réconforter celui qui allait se sacrifier. Lui, le philosophe qui avait toujours une bonne maxime dans sa paille, lui qui connaissait tant de théories sur la vie et la mort, se sentait impuissant.

Le chapeau se tut donc, et laissa décider l’Insoumise…

- Je ne vais pas te manger ici. Nous allons descendre. Je serai mieux dehors. On sait jamais… selon comment ça tourne…

Elle se leva aussitôt, d’une force étonnante pour sa faible carcasse. Elle se baissa et pris le caramel dans ses mains. Elle n’avait pas été aussi tendre avec quelqu’un (ou quelque chose) depuis la mort d’Hadrien. Elle prit le chapeau avec une égale douceur et le mit sur sa tête. Le chat était déjà devant la porte. Le caramel se sentait serein dans sa main.

A la tombée d’une nuit, dans un phare oublié de tous, une fille fantomatique couronnée d’un vieux chapeau de paille descendait, avec comme unique cortège un maigre chat noir. Elle s’apprêtait à changer la face du monde.

Elle alla jusqu’au dernier rocher, au plus près des vagues. Le chat resta derrière elle.
Ses frêles doigts décollèrent le caramel du sachet, qu’elle prit soin de garder dans sa main droite. Elle contempla longuement le caramel qu’elle tenait dans l’autre main. Il était assez petit, assez ridicule même. C’était absurde que l’avenir du monde dépende d’un si petit tas de sucre.

L’âme du sachet fut dédoublée pendant un instant, mais il restait quelques poussières sucrées collées au sachet par le temps. Le caramel ne partait pas complètement.

Face à la lune, face aux vagues et aux étoiles, en plissant les yeux de plaisir et de peur, la courageuse Cléophée mit dans sa bouche le courageux caramel, et laissa son palais s’habituer avant de re-découvrir la saveur oubliée. C’en était presque douloureux, tout ce sucre, d’un coup, ce goût de bonheur, ce goût qui n’existait plus pour elle.
Les vagues se fracassaient, hurlant peut-être pour la mort du faux caramel.

Aucun commentaire: