jeudi 8 mai 2008

épisode sept

Le matelas était en effet moins que méchant. Il était très âgé et, comme beaucoup d’objets, il n’avait eu ni le courage ni la foi de lutter pour survivre sans les hommes. Il ne représentait donc pas un grand risque pour eux, il décida même d’aider du mieux qu’il pouvait nos deux égarés, dans un ultime geste d’insoumission. Il s’était laissé faire toute sa vie, se contentant de supporter des gens. Il avait entendu des milliers de conversations, souvent futiles, il avait survolé des milliers de pages, certaines intéressantes, d’autres détestables. Il avait écouté tous les secrets de plage et, malgré sa profonde haine envers les hommes, il n’avait rien fait.

Plus d’une fois l’envie d’étouffer l’un d’eux l’avait étreint, mais il n’avait rien fait. Il s’était laissé faire parce qu’il aimait beaucoup les enfants.

Sur toutes les plages, il y a des enfants qui empêchent l’extinction des humains. Personne ne le sait.


Il en avait tant vu, ce matelas, que plus rien ne l’intéressait. Il avait vu les enfants devenir des cons, les hommes et leurs maîtresses, les femmes et leurs amants, il avait entendu les pires confessions familiales. Il avait parfois vu des gens bien, vraiment bien. Dix fois.

Il avait assisté au défilé de corps plus artificiellement parfaits les uns que les autres. Il était resté spectateur de cette décadence et n’avait jamais bougé de cette plage depuis son arrivée.
Il n’avait vu personne depuis une semaine, le chapeau et le caramel l’avaient sorti de sa torpeur. Tous deux se présentèrent poliment et le matelas se positionna de telle sorte qu’il constituait un puissant barrage contre les différents vents. La nuit approchait, le caramel ressentit alors une profonde mélancolie. Ils discutèrent longuement tous les trois pendant que les étoiles s’incrustaient de plus en plus dans l’ombre. Le matelas leur fit partager sa grande expérience…

- Vous savez, je me doutais que ce moment arriverait. Je l’attendais même plus tôt. J’ai vu l’humanité se dégrader à une vitesse époustouflante. Ca fait un moment que ça grouille tout ça… Encore bien heureux que ça ait duré jusqu’à maintenant!

La discussion s’éternisait mais le caramel était réellement épuisé. Il ne comprenait pas vraiment pourquoi on en était arrivé là. Son jeune âge l’empêchait de prendre totalement conscience de l’ampleur des évènements. Il trouvait que c’était triste, mais pour des raisons futiles. Il ne verrait certainement plus jamais sa sucette: voilà ce qui l’attristait le plus. Tout le reste importait peu.

Le chapeau confessa au matelas leur soif d’aventures, il discutait passionnément de leur projet pendant que le caramel s’effondrait de fatigue et de désespoir. Le matelas fut ému par leur discours et se mit à croire avec eux, même si ça n’en valait pas la peine. Il fit du mieux qu’il pût pour les protéger. Les trois objets dormirent en faisant des cauchemars peuplés d’humains. Le caramel rêva un instant de sa sucette mais son inconscient n’arrivait pas à la reconstituer exactement.

La lune présidait royalement le spectacle et le vent s’en donnait à cœur joie dans ce silence inquiétant. Seule une pile d’objets errait sur cette plage. Le matelas recouvrait le chapeau, qui lui-même recouvrait le caramel. Ce tas apparemment inanimé concrétisait un fragile espoir.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Ton email est arrivé pile au bon moment, j'avais besoin de retrouver quelque chose de familier, retrouver tes personnages, le caramel, le chapeau,e t bien sûr ici le matelas... je suis touché d'avoir eu la primeur de ce récit, et la sagesse contenue, mais chut je ne dévoilerai rien... J'aime trop relire leur histoires
Doucexs Bises Clé
Gwennaël