lundi 12 mai 2008

épisode huit

Le matelas fut le premier réveillé : il avait cru entendre des oiseaux. C’était impossible car les animaux, à part les chiens, avaient disparu depuis une éternité. Les chants d’oiseau qu’il entendait dans sa tête n’étaient que les réminiscences de sa lointaine enfance. Le retour à la réalité fut donc encore une fois mélancolique. Après chaque rêve de ce genre – ce qui arrivait souvent – il espérait secrètement que la mort ressemblât à un merveilleux retour en enfance. Mais il était encore en vie, et aucun oiseau ne rôdait alentour. Il se désabla rapidement, ce qui réveilla le chapeau. Ce dernier sursauta. A l’inverse du matelas il était heureux. Il savourait encore une fois avec délice le calme de ce matin. Même dans ses rêves les plus fous il n’avait osé espérer une telle tranquillité. Plus d’hommes, plus de chiens, plus d’enfants, plus de portables…

- Le monde est quand même bien plus agréable sans les humains… il retrouve sa véritable essence !

- Tu crois qu’on est plus indispensable qu’eux, peut-être ?

Le caramel avait émergé de son suave sommeil. Il reprenait les paroles du sage car il les aimait bien les hommes, lui.

- Ce n’est pas vraiment ce que j’ai voulu dire. Désable toi un coup avant de discuter ! Nous ne sommes pas plus indispensables qu’eux, loin de là. Je crois que nous sommes juste un peu moins mauvais. Peut-être parce qu’on a mis du temps à avoir une âme. Ils ne sont pas mauvais consciemment. Pas tous. Je dirais que l’homme s’est perdu lui-même, et c’est cela qui l’a rendu mauvais. Il se brûle et se mord la queue comme le serpent, en étant persuadé qu’il fait bien. Sa vanité de créature parfaite l’empêche d’être lucide. Si les humains disparaissent totalement, il se peut que les objets se laissent submerger à leur tour par cet orgueil démesuré. Il se peut qu’on atteigne nous aussi nos limites. Je vois cela comme une fatalité. Comme si toutes les créatures de ce bas monde devaient inévitablement plonger dans l’abîme… Abyssus abyssum invocat !

- D’accord, d’accord, je vois vaguement ce que tu veux dire… Mais il faudrait un peu rabaisser le débat… Si tu parles en latin dès le réveil je vais me rendormir !!!

- Si la discussion est trop philosophique à ton goût, tu n’as qu’à te rendormir. Moi je partirai à l’aventure et tu seras désespéré à ton réveil !

- Mais tu m’as appris la technique, je peux très bien le faire tout seul maintenant…

- Pour un court voyage peut-être, mais pour l’épopée que j’envisage tu auras besoin de moi… Maintenant c’est toi qui vois, t’y vois pas bien d’ailleurs, ça te jouera des tours si tu veux te déplacer.

- Si je me déplace par petits bonds, je peux y arriver aussi !

- Tu vas surtout tourner en rond sur cinq mètres carrés de sable, tu seras encore une fois pathétique…

- Bon, ça va, je reste avec toi, mais, pitié, ne me prends pas la tête dès le matin, ça me rend malade…

Le matelas prit alors la parole pour mettre fin à la querelle matinale. Il saturait lui aussi d’entendre ces réflexions. Il ne comprenait pas qu’on puisse avoir de telles discussions pour commencer la journée. Il faut avouer que le chapeau était particulièrement « intellectuel » grâce à sa longue expérience de lecture par dessus l’épaule. Il avait senti beaucoup de têtes chauffer. A cause de la chaleur mais aussi à cause des problèmes, des angoisses qu’il avait du couver de sa paille. Son « porteur » l’avait mis sur la tête de plusieurs de ses amis car il aimait bien ce chapeau. Tous ses amis l’avaient donc essayé et le pauvre chapeau, quant à lui, se ramassait toutes leurs prises de tête. Il avait senti, une fois, quelque chose d’inhabituel alors qu’il était sur la tête de la petite amie du « porteur ». Quelque chose qui l’avait un peu choqué malgré son expérience déjà variée. Mais ce n’était pas le moment d’en parler… C’était au matelas de parler, et de les bouger pour qu’ils continuent leur fameux voyage…

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