lundi 26 mai 2008

épisode onze

Le matelas ne dit rien. Il était surpris, il ne pensait pas que le caramel cogitait autant. Sa jeunesse et son goût suave masquaient un profond mal-être que le matelas découvrait peu à peu. Il se devait de le réconforter, mais comment peut-on réconforter quelqu’un quand on se laisse soi-même mourir ? Il fit aussi bien qu’il put et brisa le silence par de sages paroles.

- Tu sais, je pense que partir est la meilleure décision pour vous, tu as besoin de voir autre chose que ce sable, vous devez vous évader ! Tu es trop jeune encore pour rester ici. Les hommes ne t’apporteront plus rien, ton destin n’est plus entre leurs mains. Peu d’objets ont vécu cet état, ta jeunesse te permet de profiter de l’occasion, ce n’est pas le moment de se laisser aller à la mélancolie…
- Ce n’est pas de la mélancolie, c’est de la lucidité… Qu’est-ce qu’on va devenir sans les hommes? On existe grâce à eux quand même !
- On ne va pas relancer le débat… Etre là, seuls à discuter, c’est quand même la preuve de notre autonomie, non ?

Silence sucré.

- C’est ça qui te fait peur, je suis sûr. L’autonomie, la liberté, voilà deux choses que tu découvres et que tu n’assumes qu’à peine ! Tu dois accepter cette situation, tu n’as pas vraiment le choix en fait. Tu assistes à une révolution, je dirais même mieux que tu y participes. Tu ne peux pas rester là, à attendre, ou tu finiras fou ! Ce serait une erreur fatale de ne pas profiter de l’occasion…
- Quelle occasion ? Tu trouves ça drôle, toi, de se retrouver seul, à la merci de la moindre variation climatique ? De risquer un voyage qui doit nous mener à des rochers qui nous mèneront nulle part, tu parles d’une occasion ! Si on a tant de pouvoir, nous, les objets, pourquoi on n’aurait pas fait notre révolution avant ? Pourquoi maintenant ?
- Les objets sont très dépendants des hommes, et très passifs. Jusqu’à présent ils avaient tous peur, comme toi. Peur de se retrouver seul, de ne pas savoir faire. C’est pour ça que la plupart des objets se sont laissés aller à la langueur avant de se laisser mourir. C’est pour ça que tous les objets optent pour la passivité et le suicide. Ils étaient en quelque sorte paralysés par leur condition. Je sens gronder la révolte depuis longtemps… C’était inévitable. Ce serait idiot, à ton âge, de ne pas entreprendre ce voyage, trop d’objets sont morts sans pouvoir le faire…
- Ok, ok, je comprends un peu mieux l’enjeu du truc… J’ai du mal à me faire à cette « révolution » comme tu dis, elle m’angoisse. Je l’aime bien, le chapeau, mais j’ai peur qu’il sache pas vraiment où il nous emmène, je doute pas de sa sagesse, mais bon… j’ai pas envie de m’écraser sur un rocher, moi…
- … Si tu veux savoir, moi non plus je n’ai pas envie de me fracasser ou de me noyer !

Le chapeau revenait de sa méditation et semblait irrité par ce qu’il venait d’entendre.

- Ca fait plaisir ! On part cinq minutes pour méditer et voilà que mossieur n’a plus confiance… bravo la jeunesse ! ! ! Quelle belle révolution tu nous promets ! ! ! Un « caramel révolutionnaire »… ça aurait fait un bon slogan publicitaire à une certaine époque ! On va aller loin avec toi, j’espère que le sort de tous les objets n’est pas entre tes mains…
- Pourquoi tu dis ça ? J’y suis pour rien, moi, j’ai pas demandé à être un héros…
- Certains héros n’avaient rien demandé, et se sont improvisés tels. Je doute que tu puisses en faire autant…C’est certainement risqué, tu as raison… Mais j’ai certainement moins peur que toi… Mourir en
héros, pour des objets, c’est quand même la gloire ! ! !
- Quelle gloire ? La gloire pour qui ? S’il n’y a personne pour fleurir nos tombes… A quoi bon la gloire, alors que je ne reverrai plus jamais ma sucette ? ? ?
- Tu es vraiment impressionnant ! J’ai parfois des doutes sur le fait que tu ne sois pas un humain. Ta stupidité est souvent proche de la leur, je peux même dire qu’en ce moment tu les surpasses… Ah, non, vraiment… J’ai rarement vu un humain aussi pleutre que toi !

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