jeudi 19 juin 2008

épisode seize

- Enfin une parole sensée, tu grandis vite, petit ! Allez, on se prépare. Chacun va se concentrer dans son coin en visualisant. Ce doit être le début de l'après midi. On se donne une heure de concentration et on part?

- Mmmouhais... Une heure ça suffit largement. Au moins on est sûr d’être au point. Vaut mieux prévoir large, si le vent souffle fort il nous ralentira... Mais je n'ai aucun doute quant à ce voyage, je vous assure qu'on arrivera à destination !

Le caramel s'était résolument calmé : il était même amorphe. Il ne voulait plus réfléchir à tout ça. Ils s'éloignèrent l'un de l'autre et chacun, dans son coin, commença la longue méditation qui devait leur permettre de mener à bien l'expédition. Les trois objets regardaient donc précisément leur prochain lieu d'atterrissage. La tension, la concentration de chacun étaient presque palpables. Le chapeau tremblotait tellement il focalisait son énergie, il sentit une douce chaleur l'envahir. Il visualisait les grains de sable qui étaient à une dizaine de mètres, les comptaient même mentalement, afin qu'aucune molécule de l'endroit où il voulait aller ne lui échappe.

Le matelas, quant à lui, visualisa d'abord l'ensemble de sa vie, depuis sa jeunesse jusqu'à ce moment. Il se rappela les instants de joie lorsque les enfants couraient autour de lui. Il repensa à cette insouciance qui s'était trop rapidement transformée en dégoût de l'être humain, à tous les êtres abjects qu'il avait supportés, aux rares personnes qu'il avait appréciées. Ces visages et ces corps se mêlaient par le jeu de sa mémoire trop vieille. Il lui fallait revoir tous ces gens avant de les oublier, avant de se concentrer pour partir vers l'inconnu. Il effaça donc ces visages, ces figures, puis se mit lui aussi à compter les grains de sable...

Le caramel, néophyte qu'il était, avait une toute autre technique... Il avait peut-être abandonné la peur, mais certainement pas le souvenir de sa sucette. Il fit donc une sorte de prière à sa bien-aimée sucrée, même si les objets n'ont pas de bien aimée. Il lui parlait, lui annonçait qu'il partait en croisade pour elle, qu'il voulait sauver les hommes, qu'il irait au bout du monde pour elle. Il était sûr que, quelque part, elle l'entendait; et il lui demanda de le protéger. Il se persuada que rien ne lui arriverait s'il s'assurait la bénédiction de sa belle. Il était son chevalier, il fallait qu'elle l'entende, qu'elle le motive. Même si les objets ne peuvent pas aimer. C'est pas ça qui compte. Ce qui compte c'est de croire qu'on aime. Tant pis si c'est pas vrai, au moins, ça rassure.

Il implora sa belle, il lui sembla même l'entendre, au loin, lui souhaiter bonne chance. Il ne savait pas s'il créait lui-même cette voix, ou si la sucette lui répondait effectivement, quelque part, mais il entendit une sorte de chant; il préféra croire que c'était vrai. Il essaya ensuite, du mieux qu'il put, de visualiser les grains de sable, puis de lui compter. Cet exercice lui demandait beaucoup plus d'énergie que pour les deux autres, il était loin d'avoir leur expérience. Le temps paraissait suspendu, mais les trois sombres héros se rejoignirent au bout d'une heure. Ils étaient particulièrement solennels, et ne voulaient perdre aucune parcelle de l'énergie qu'ils venaient d'accumuler... L'heure était grave.

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