mardi 3 juin 2008

épisode treize

- Je vois que monsieur a de la culture, contrairement à ce qu’il laisse paraitre. Je n’étais pas si loin de Roméo, vois tu ? J’ai même souffert plus que lui, tous les objets qui ont cru aimer ont souffert plus que lui, ça n’a rien à voir ! Les humains sont loin d’imaginer notre désespoir: le leur est dérisoire. Ils connaissent les chagrins d’amour après avoir connu l’amour, alors que nous… Nous on ne connait que le chagrin. On n’a droit à aucune parcelle d’amour, ce n’est pas dans notre nature, parait-il, on n’en a pas besoin… On a juste besoin que l’homme nous fasse l’honneur de nous utiliser le plus longtemps possible, c’est tout. Chaque objet défend alors sa peau du mieux qu’il peut, pour ne pas être jeté trop violemment, pour être un peu touché, voire câliné. Il subit en attendant la fin. Même Roméo, avec tout le respect que je lui dois, n’a jamais connu cela… Si les auteurs avaient conscience de ce désespoir qui nous habite, nous serions les héros des plus grandes tragédies… Corneille, Racine, Shakespeare même –puisqu’il t’inspire- ont pu faire pleurer tous les Titus, tous les Hamlet, ils n’auront jamais connu qu’une infime partie du désenchantement qui nous hante. La fatalité qui pèse sur nous est bien supérieure à tous les travers du destin qu’ils se plaignent de rencontrer… Les humains nous méprisent comme nous les méprisons, mais ils ignorent ce que l’on endure… Ils me font bien rire, parfois, quand ils pleurent sur leurs amours perdues. Qui dit amour perdu dit amour possédé un instant… Quel privilège ! ! ! Alors que pour nous tout est perdu d’avance… Les seuls qui, à ma connaissance, ont approché cet état de langueur extrême sont les romantiques. Les seuls. Leur âme cristallisait sur des femmes inaccessibles, des souvenirs, des mythes… Eux seuls ont su toucher du doigt notre manque. Avec le succès qu’ils avaient il n’y a encore pas si longtemps, je croyais que les hommes comprenaient. Au contraire ils les traitent de fous, de morbides. Ils aiment leurs poèmes, mais ne veulent surtout pas en souffrir les tourments. C’est joli, mais de loin. C’est bien d’être romantique, mais juste pour le teint. Le romantisme, c’est pour les jeunes mal dans leur peau, c’est pas pour les vrais hommes… Voilà ce qu’ils pensent! Et pourtant… S’ils savaient!

Le chapeau ponctua sa tirade par un long soupir, ni feint ni exagéré. Simplement le désespoir fait souffle.
Le caramel, quant à lui, était doublement affecté. Il découvrait à la fois la tristesse et la fatalité de sa condition. Il ne l’avait pas imaginée aussi pathétique. Il regardait le chapeau d’un autre œil et voulait en savoir plus sur cet atavisme. Contrairement à ce que lui avait dit le chapeau, il ne savait pas que les objets étaient incapables d’aimer: il croyait naïvement qu’il était trop jeune pour connaitre ce sentiment…

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